• Dommages collatéraux *****

    Après avoir découvert Armel Job grâce à l’excellent «Tu ne jugeras point», j’ai de nouveau été séduite par son univers littéraire grâce à «Et je serai toujours avec toi», y retrouvant les éléments qui m’avaient plu lors de ma première lecture.

    Armel Job, c’est tout d’abord une couleur locale : en tant que Belge, j’aime retrouver ce parfum de terroir, au détour de l’une ou l’autre formule qui fait mouche (« C’était un soir aux premiers jours d’octobre, après une journée à rappeler les hirondelles, comme l’Ardenne peut en servir par remords, au terme d’un été pourri »).

    C’est également une histoire en apparence banale, qui confine parfois au simple fait divers mais s’élève ensuite au rang d’œuvre littéraire. Un couple ordinaire, Jacques et Teresa, deux grands fils, Tadeusz et André, une brasserie à gérer, un mariage sans heurts mais également sans passion. Vient alors la maladie de Jacques, un soudain élan d’amour et de dévouement  chez Teresa, puis la mort, qui laisse une jolie veuve quadragénaire. Mais l’épitaphe de Jacques est un dernier geste d’amour : «Et je serai toujours avec toi», promesse biblique du mourant que, de l’au-delà, il se manifestera auprès de son épouse. Lorsqu’un séduisant Croate tombe en panne de voiture près de chez eux et vient solliciter de l’aide, Teresa la catholique ne demande qu’à croire à un signe de son défunt époux : Branko ne vient-il pas d’une ville où la Vierge en personne s’est manifestée ? Et l’air de Wagner qu’il sifflote, n’est-ce pas l’un des airs écoutés par Jacques sur son lit de mort ?

    Peu sensibles à l’approbation apparente de la Sainte Vierge, les deux fils de Teresa sont cependant nettement moins enthousiastes et se méfient de l’étranger, non seulement parce qu’il occupe un peu trop de place dans la maison et le cœur de leur mère mais également parce qu’un meurtre brutal vient secouer le petit village ardennais…

    Outre cette enquête policière ordinaire, « Et je serai avec toi » est un roman d’une grande profondeur, d’une douce poésie aussi, qui s’élève au-delà du fait divers pour aborder des questions morales beaucoup plus larges, à travers le passé de Branko qui a vécu la tragédie yougoslave. Armel Job aborde des thèmes universels, nous parlant de l’amour tendresse (« La tendresse ou plutôt l’attendrissement et même, plus précisément encore, le moment de l’attendrissement, quand le cœur s’emballe, que la volonté perd pied, que l’âme se liquéfie »), de l’amour tristesse (« je les aimais pour ce qu’elles étaient réellement dans mes bras, quand elles m’offraient leur corps désarmant d’être si désarmé, pour un instant de pitié entre deux êtres humains »),  de la fragilité de la justice et de celle des hommes aussi, confrontés à la succession de « répugnantes chrysalides » qu’ils ont parfois été. Un roman doux-amer, fort et troublant, qui donne à réfléchir sur les « dommages collatéraux de la vérité » et que je vous recommande vivement…

    Du même auteur : Tu ne jugeras point


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  • L'affaire Isobel Vine

    Michael Connelly made in Australie ****

    « L’affaire Isobel  Vine » (« Kingdom of the Strong ») est le quatrième roman de Tony Cavanaugh mettant en scène le policier Darian Richards mais le premier à être traduit en français. La comparaison avec Michael Connelly m’a donné envie de le découvrir et si je me méfie toujours un peu de ce genre de publicité accrocheuse, je dois reconnaître qu’il s’agit, tout comme les oeuvres de Connelly, d’un roman policier de qualité, jouant sur l’ombre et la lumière et mettant en scène des protagonistes faillibles, ce qui confère à l’ensemble une impression de réalisme. Le style est tantôt soigné, tantôt cru, mais cette vulgarité occasionnelle n'est pas gratuite et n'est que le reflet de la brutalité des scènes évoquées.

    Alors que Darian Richards s’est exilé au bord d’un lac après un échec et passe le plus clair de son temps dans son hamac, il est contacté par son ancien patron, Copeland Walsh, pour élucider un sordide « cold case » : la mort de la jeune Isobel Vine, dix-huit ans, affaire datant de vingt-cinq ans et très vite classée comme suicide, malgré les protestations du père d’Isobel. La raison de ce désir soudain de l’élucider est très pragmatique : quatre jeunes policiers avaient à l’époque été mêlés à l’affaire et l’un d’eux, Nick Racine, postule maintenant  pour une haute fonction dans la police. Sa présence suspecte chez Isobel le soir de sa mort faisant tache sur son curriculum vitae, il y a donc lieu d’éclaircir l’affaire pour que Nick puisse accéder à son poste sans la moindre réserve.

    « L’affaire Isobel Vine » est un roman policier de facture classique, avec alternance de points de vue narratifs et passage d'une période à l'autre, ce qui assure un suspense continu. Il nous offre en outre quelques références littéraires et un double mystère qui rend la fin du livre passionnante : l’identité du ou des coupable(s) et la question des preuves, vingt-cinq ans après. Le personnage de Darian Richards est à la fois complexe et attachant et a le mérite de lever le voile sur la réalité policière et sur l’impact sur les policiers de ce qu’ils vivent au quotidien : ainsi, la géographie de Melbourne n’est pour Darian qu’un long chemin de croix émaillé de morts violentes, de nombreux lieux évoquant les horreurs dont il a été témoin. Guère étonnant dès lors que les frontières entre le bien et le mal s’estompent, laissant place à des décisions parfois peu orthodoxes…

    Les amateurs de romans noirs se réjouiront de l’arrivée de cette nouvelle voix dans la littérature policière, cette fois dans un cadre australien qui, tout comme l’excellent « Canicule » de Jane Harper que j’ai découvert cette année, apporte un certain dépaysement dans l’univers du polar. Un bon moment de lecture et assurément d’autres en perspective lorsque les aventures précédentes de Darian Richards auront été traduites

     

    Si vous aimez les romans policiers australiens : Canicule


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  • Dis-moi que tu mensUne saison en enfer ****

    Les admirateurs de Patricia Highsmith ou Ruth Rendell seront sans doute ravis de découvrir ce suspense psychologique de Sabine Durrant. « Dis-moi que tu mens » (« Lie with me ») est en effet d’un roman au rythme relativement lent, axé sur la psychologie des personnages et non sur l’action pure, et qui nous mène lentement mais sûrement vers un dénouement inattendu, après un voyage agréable au pays de la manipulation et des faux-semblants.

    Le narrateur est un écrivain, Paul Morris, dont la vie actuelle repose sur des mensonges soigneusement élaborés. Alors qu’il n’a plus rien écrit de valable depuis longtemps et est sans le sou, son univers est une façade de succès et de relations mondaines. Cynique, menteur, dragueur, égocentrique, il n’a guère d’atouts pour plaire au lecteur, son comportement et ses pensées étant plus d’une fois des atteintes au bon goût  -particulièrement dans ses rapports avec la gent féminine. Les lectrices un tant soit peu romantiques risquent hélas d'y laisser quelques illusions et de devenir un peu plus méfiantes dans leurs relations futures, le paiement de la note de restaurant pouvant s'assimiler, de l'aveu même du triste sire, à un "investissement"... aww 

    La rencontre de Paul avec un ancien camarade, Andrew, et une invitation chez ce dernier mettront sur sa route Alice, une veuve mère de trois enfants, dont le pouvoir de séduction aux yeux de Paul est étroitement lié à sa situation financière confortable. Le récit emmène ensuite nos (anti-)héros en vacances en Grèce, dans la maison d’Alice... là où ils étaient tous il y a dix ans lors la disparition de la jeune Jasmine, jamais élucidée depuis lors, mais surtout là où commencera pour Paul une saison en enfer.

    Ce roman est très plaisant par l’impression de manipulation omniprésente qu’il dégage, celle-ci s’étendant jusqu’au lecteur qui verra évoluer ses sentiments envers les différents personnages. Rien n’est vraiment comme on le pense, les ressentis et les réactions sont terriblement humains  -et manquent donc souvent de noblesse-  et les vérités passées et présentes se dévoilent peu à peu, les pièces du puzzle s’assemblant avec ingéniosité. Un bon roman psychologique et une lecture parfaite pour l’été, à l’ombre des oliviers grecs... 


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  • Excellent thriller psychologique dans la tradition rendellienne *****

    Après deux romans, dont l’excellent début « The Missing One », Lucy Atkins nous revient avec un roman très prenant dans la lignée des meilleurs romans de Ruth Rendell, à tel point que l’on aurait pu me faire croire aisément que c’était Mrs Rendell elle-même qui nous laissait une œuvre posthume.

    Si je vous dis que « The Night Visitor » est le récit d’une confrontation entre deux femmes avec pour motif récurrent la fascination pour les scarabées, je doute, à juste titre, de votre enthousiasme. Alors que « The Missing One » nous emmenait dans l’univers fascinant des orques, le monde des insectes est certes nettement moins poétique et romanesque. Mais comme l’annonce l’auteur par une citation introductive, « the Creator, if He exists, must have an inordinate fondness for beetles”, et une seconde citation en début d’ouvrage est révélatrice de ce qui suivra : « But what will not ambition and revenge descend to ? » (John Milton, Paradise Lost).

    Ce sont en effet les thèmes de l'ambition et de la vengeance qui constitueront la trame de ce roman psychologique. La scène d’ouverture est de bon augure : Olivia Sweetman, historienne et auteur à succès, se voit honorée lors d’une cérémonie au Collège Royal de Chirurgie à Londres à l’occasion de la publication de son livre « Annabel ». Annabel Burley est connue pour avoir été une des premières chirurgiennes à l’époque victorienne, alors que les femmes étaient reléguées au second plan, mais son journal intime contient des révélations sur sa vie privée qui font d’elle le sujet idéal d’un best-seller de vulgarisation historique.

    Dès les premières pages, le malaise d’Olivia est palpable et en contradiction avec les honneurs dont elle fait l’objet. A l’origine de ce trouble, une femme : Vivian Tester, sexagénaire, qui assure la gestion d’Ileford Manor en l’absence de sa propriétaire, Lady Burley, et qui a remis à Olivia le journal sur lequel se base son livre. Un flash-back nous racontera ces quelques mois au cours desquels toute la vie d’Olivia basculera de l’harmonie au cauchemar, tant sur le plan privé que professionnel…

    «The Night Visitor» n’est pas un roman trépidant avec des rebondissements et des meurtres à chaque page. Le suspense, pourtant bien réel, provient de la tension croissante entre les deux principales protagonistes, Olivia et Vivian, chacune avec ses secrets, ses forces et ses faiblesses, et de la révélation progressive des agissements de l’une et de l’autre. Il s’agit d’un roman psychologique très réussi à mon sens car les personnages sont nuancés, la vision n’est pas manichéenne et par ailleurs, Lucy Atkins évoque la difficulté des femmes à être crédibles aux yeux de la communauté scientifique masculine.  Ma seule (petite) réserve concerne un incident se déroulant en France, qui n’est pas vraiment expliqué au final et dont je ne perçois pas le rôle dans l’ensemble, ainsi que la fin arrivée un peu trop abruptement à mon goût, mais ceci ne change rien à la qualité globale du roman.

    Quant à la présence à tout le moins incongrue de scarabées dans un roman psychologique, elle peut s’expliquer ainsi : « Some attack, some scuttle to safety, others spin in bewildered, panicky circles ; some play dead, sticking their legs out as if in rigor mortis ; some squeak in fear and others bury themselves deeper into their pile of dung. People aren’t so different, really. We all have different ways of coping when under attack”.

     

    Un excellent thriller psychologique qui plaira incontestablement aux fans de feu Ruth Rendell alias Barbara Vine. 

    Du même auteur: The Missing One


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  • Récidive

    Un polar qui fleure bon la côte bretonne *****

    A force de voir défiler « Récidive » dans les groupes de lecture, accompagné de commentaires très positifs, j’ai cédé à la curiosité et j’ai donc entamé ce troisième roman de Sonja Delzongle, auteur que je ne connaissais pas, avec l’éventualité que je lèverais les yeux au ciel après quelques pages en me demandant comment on pouvait appeler cela de la littérature et en me sentant fort seule  -cela m’est déjà arrivé, je ne citerai pas de noms smile

    Tel ne fut pas le cas ici et « Récidive » a été une très agréable surprise. Ce roman noir met en scène la profileuse Hanah Baxter, un personnage attachant fragilisé par le drame terrible qu’elle a vécu enfant : son père, Erwan Kardec, a tué sa mère à mains nues. Le crime aurait été parfait si quelques années plus tard, Hanah ne s’était décidée à témoigner contre son père, envoyant ce dernier derrière les barreaux pour trente ans. Mais l’état de santé d’Erwan Kardec lui permet d’obtenir une libération anticipée et il revient à Saint-Malo consumé par la haine envers celle qui lui a volé vingt-cinq ans de sa vie, le désir de se venger comme seule raison de vivre. Hanah exerce quant à elle son métier de profileuse à New York et l’annonce de la libération de son père l’angoisse, d’autant plus qu’elle reçoit d’étranges coups de fil anonymes…

    Sur cette trame relativement classique qui évolue inexorablement vers une confrontation père-fille, Sonja Delzongle a construit un roman riche en atmosphère et en rebondissements, d’autres histoires venant se greffer sur l’intrigue principale  -un condamné dans le couloir de la mort, une mystérieuse blessure d’enfance de Hanah qui ne se manifeste que maintenant, la disparition d’une famille britannique. Le récit d’un naufrage, en 1905, au large des côtes de Saint-Malo, campe d’emblée la mer comme motif récurrent et les premières pages sont à la fois captivantes et tragiques, voire poétiques : «L’aube se lève enfin sur une mer calme et neuve, dans l’indifférence d’un soleil pâlot, comme si rien ne s’était passé. Une bruine froide balaie les rochers où s’accrochent encore les restes de l’épave déchiquetée. Joyce fixe le ciel de ses yeux grand ouverts que recouvre une fine membrane blanche, son visage a pris les teintes grisâtres de l’eau devenue son linceul. Le petit corps flotte à la surface, tel un tronc mort. Non loin, le cadavre de sa mère et celui de son frère dérivent en silence. »

    Le rapport entre ce naufrage vieux de plus d’un siècle et le présent sera progressivement révélé, tout comme d’autres événements inexpliqués de différentes époques. Sonja Delzongle nous fait voyager des « étoiles <…> trompeuses, envoûtantes et vides » de Big Apple à la côte bretonne battue par les vents, au fil d’un récit policier qui a le mérite de soulever, outre les thèmes habituels de la vengeance ou de la cupidité, d’autres plus délicats tels l’homophobie ou les déchirures de l’enfance. Une vraie réussite et un auteur à suivre.


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