• La ferme du bout du monde

    Belle saga familiale et ode aux Cornouailles ****

    Je remercie tout d'abord les Editions Préludes pour l'envoi de ce roman en échange d'une critique honnête. 

    «La ferme du bout du monde», c’est Skylark, la demeure familiale de Lucy depuis six générations… Une ferme « plus isolée et impitoyable que jamais. Car au pied de ses falaises et de ce promontoire, il n’y a rien que l’Atlantique bleu pétrole… puis l’Amérique, inconnue et invisible. Alors, elle est une ferme du bout du monde. Le genre de lieu où les règles habituelles peuvent être infléchies, rien qu’un peu, et où les secrets demeurent enfouis. »

    «La ferme du bout du monde» est un voyage à la fois spatial et temporel. En effet, il emmène le lecteur dans la magnifique région des Cornouailles, les descriptions de Sarah Vaughan en évoquant à merveille l’atmosphère à la fois âpre et sauvage, et il fait revivre également un épisode de la seconde guerre mondiale, l’accueil à la ferme de jeunes adolescents en 1943.

    En 2014, Lucy, infirmière en néonatologie, voit son mariage aller à vau-l’eau et décide de quitter Londres pour se réfugier à Skylark auprès de sa famille. La situation qu’elle y découvre est cependant préoccupante et Lucy, peu désireuse de retrouver sa vie londonienne et ses soucis personnels et professionnels, y voit un nouveau projet de vie, auprès de sa grand-mère Maggie. Mais Maggie a le cœur lourd de souvenirs qu’elle n’a jamais pu confier à ses enfants et petits-enfants et l’arrivée d’une nouvelle résidente pour un séjour estival va lever le voile sur un passé qui projette toujours ses ombres sinistres sur le présent…

    Sarah Vaughan nous fait partager le quotidien d’une famille sur plusieurs générations, avec pour dénominateur  commun la vie à la ferme, dépeinte avec réalisme et aussi âpre que le paysage des Cornouailles. Pas de sentimentalisme, une (sur)vie à la merci des éléments de la nature, aussi impitoyable envers les animaux qu’envers les gens.

     

    Si «La ferme du bout du monde» a par moments des accents un peu convenus (notamment dans la résolution) et n’a pas selon moi l’impact puissant de «Une vie entre deux océans» auquel il a été comparé, il s’agit néanmoins d’une belle saga familiale, avec des portraits de femmes touchants et, en toile de fond, les thèmes de la culpabilité, de la rédemption, du choix, des souvenirs qui nous hantent tout au long d’une vie, en filigrane d’une existence ordinaire. Une lecture très agréable et dépaysante, véritable ode aux Cornouailles, que je vous recommande pour cet été. 

     

    Du même auteur:

    Anatomie d'un scandale


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  • Rien ne s'oppose à la nuitAujourd'hui, maman est morte *****

    Après avoir découvert le corps sans vie de sa mère, Delphine de Vigan entreprend de lui rendre hommage, de lui offrir, comme elle l'écrit si joliment, "un cercueil de papier <...> et un destin de personnage". Rassemblant les témoignages des membres de la famille, elle retrace alors la vie de Lucile, ses failles et ses terribles errances, qui la mèneront souvent au bord du gouffre.

    "Rien ne s'oppose à la nuit" va bien au-delà de la simple biographie: il s'agit d'un livre "empreint d'amour et de culpabilité", élaboré dans la douleur par une fille qui s'est donné la lourde tâche d'essayer de comprendre, et il est en outre magnifiquement bien écrit. A travers cette famille chargée de drames et de non-dits, Delphine de Vigan touche nos deuils les plus intimes, aux sens propre et figuré, et l'une de ses phrases illustre parfaitement l'écho de ce livre dans l'esprit du lecteur: "<...> on avait beau grandir et faire son chemin et construire sa vie et sa propre famille, on venait de là, de cette femme; sa douleur ne nous serait jamais étrangère." Une lecture difficile d'un point de vue émotionnel, très sombre par moments, mais d'une grande profondeur et méritant que l'on s'y arrête.


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  • Ce que tu veuxJusqu'à ce que la mort nous sépare ****

    La lecture de « Dis-moi que tu mens » m’a donné envie de découvrir ce que Sabine Durrant avait écrit auparavant et je remercie les Editions Préludes pour l’envoi  de  « Ce que tu veux » (« Remember Me This Way »), en échange d’une critique honnête.  J’y ai retrouvé ce que j’avais aimé dans le précédent, à savoir des personnages nuancés et réalistes, une écriture fluide et un dénouement qui laisse pensif.

    Un an après la mort tragique de son mari, Zach, dans un accident de voiture, Lizzie Carter trouve enfin la force de retourner sur les lieux de l’accident. Si les hommages rendus à un défunt sont habituellement d’un grand réconfort pour la famille, Lizzie se serait volontiers passée de ce qu’elle trouve sur place : une couronne de fleurs émanant d’une certaine Xenia… dont elle n’a bien sûr jamais entendu parler. Commence alors pour Lizzie une quête de vérité non seulement sur la mort de Zach mais également sur sa vie d’avant… quête marquée par l’angoisse et l’obsession car Zach avait une vision très personnelle de l’amour.

    Les chapitres alternent entre le récit présent de Lizzie et la narration de Zach, qui commence avant sa relation avec son épouse. Le tableau qui émerge de cette double version est à la fois complexe et terrifiant : sous le couvert d'une vie de couple normale, une relation ambiguë, aux confins de la folie parfois, qui implique deux êtres très différents et pourtant attirés l’un par l’autre comme par un aimant. Zach est un personnage qui, à l’instar de Paul Morris dans « Dis-moi que tu mens », donne envie à toute femme dotée d’un minimum de bon sens de faire vœu de chasteté illico presto ; par une étrange coïncidence, celles qui croisent sa route n’en ressortent pas indemnes…

    Quant à Lizzie, je l’ai trouvée à la fois attachante et crédible. Elle n’est pas la jeune héroïne d’une beauté saisissante que l’on rencontre souvent dans les romans : au contraire, c’est une jeune femme quelconque, qui de son propre aveu s’étonne et s’émerveille de plaire à un séducteur tel que Zach : « Je n’avais jamais imaginé connaître ce genre de bonheur. Quand j’ai rencontré Zach, je m’étais habituée à être une tante, une sœur et une fille, mais pas une amante. Je me contentais de satisfactions banales. Quelques mois plus tard, je me promenais sur cette falaise, sa main dans la mienne, des ajoncs sous les pieds, le vent dans mes oreilles, la mer dans ses yeux. Un jour, alors que nous marchions ici, il m’a dit que j’étais pour lui une source d’étonnement constant, que mon humble ravissement vis-à-vis du monde était contagieux. Jamais personne ne m’avait trouvée spéciale. » Ce sont précisément la simplicité et la bonté d’une jeune femme ordinaire qui ont attiré l’artiste raté, dont le cynisme n’a d’égal que le narcissisme…

    Les ingrédients sont a priori classiques et se retrouvent dans de nombreux romans du genre mais l’histoire se lit avec plaisir et Sabine Durrant parvient à créer un suspense continu et à réserver l’une ou l’autre surprise. Mon plaisir de lecture est parfois gâché par le manque de crédibilité de certaines intrigues (je pense notamment à « Derrière les portes » de B.A. Parris, qui a pourtant été encensé par la critique) alors qu’ici, l’auteur évite cet écueil et reste crédible, veillant même à donner des explications rationnelles à la fin sur tout ce qui n’était pas expliqué.

    Un bon suspense psychologique dans l’atmosphère maritime des Cornouailles, à emporter en vacances sans hésiter smile

     

     Du même auteur: Dis-moi que tu mens

     

     


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  • Un premier roman dérangeant ****

    Sélectionné pour le Bailey Women's Prize for Fiction 2017

    Parution en français: 19 octobre 2017

    « Little Deaths » ("La face cachée de Ruth Malone") est un roman émouvant à plus d’un titre. Le thème central à lui seul est probablement le plus douloureux que l’on puisse imaginer  -le meurtre de deux jeunes enfants-  mais le récit est en outre basé sur une histoire vraie, l’affaire Alice Crimmins, qui a défrayé la chronique dans les années soixante aux Etats-Unis, et les personnages en sont d’autant plus touchants.

    A partir de ce fait divers tragique, Emma Flint crée une fiction ayant pour héroïne Ruth Malone, dont les deux jeunes enfants disparaissent de leur chambre avant d’être retrouvés assassinés. Mais Ruth n’a rien d’une héroïne : séparée de Frank, le père des enfants, elle mène une vie jugée dissolue, aimant les hommes et l’alcool et ne s’en cachant pas. La société en général et la police en particulier auront tôt fait d’assimiler mœurs légères et tendances criminelles (les enfants n’étaient-ils pas une entrave à son mode de vie, après tout ?...) et ne laisseront guère de répit à cette mère peu conventionnelle, traquant le moindre détail qui pourrait prouver sa responsabilité dans la mort des enfants (a-t-on idée d'aller s'acheter une nouvelle robe alors que son enfant gît à la morgue ?...). Seul un journaliste, Pete, ravi d’avoir enfin une affaire intéressante, émet des doutes quant à sa culpabilité, mais son obsession pour la belle et sensuelle Ruth Malone n’y est peut-être pas étrangère…

    « Little Deaths » est un roman noir qui aborde plusieurs thèmes dérangeants : le rôle de la presse et de la police dans les affaires criminelles, le regard impitoyable de la société sur ceux qui ne répondent pas à ses critères moraux, la difficulté d’être mère dans un contexte social difficile. J’ai eu un peu de mal à y entrer car les personnages ne sont guère sympathiques et l’auteur dresse d’eux un portrait sans concession mais le récit finit par prendre son envol et les dernières scènes sont particulièrement touchantes, avec en outre l’explication de ce qui s’est passé. Je craignais en effet que ce ne soit pas le cas, ne connaissant pas l’issue de l’affaire Alice Crimmins et ne sachant de toute façon pas si Emma Flint y resterait fidèle, mais « Little Deaths » est avant tout un mystère policier, indépendamment de la terrible réalité qui lui a donné naissance. Un premier roman très prometteur, encensé par la critique et sélectionné pour le Bailey's Women Prize for Fiction 2017.


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  • Dommages collatéraux *****

    Après avoir découvert Armel Job grâce à l’excellent «Tu ne jugeras point», j’ai de nouveau été séduite par son univers littéraire grâce à «Et je serai toujours avec toi», y retrouvant les éléments qui m’avaient plu lors de ma première lecture.

    Armel Job, c’est tout d’abord une couleur locale : en tant que Belge, j’aime retrouver ce parfum de terroir, au détour de l’une ou l’autre formule qui fait mouche (« C’était un soir aux premiers jours d’octobre, après une journée à rappeler les hirondelles, comme l’Ardenne peut en servir par remords, au terme d’un été pourri »).

    C’est également une histoire en apparence banale, qui confine parfois au simple fait divers mais s’élève ensuite au rang d’œuvre littéraire. Un couple ordinaire, Jacques et Teresa, deux grands fils, Tadeusz et André, une brasserie à gérer, un mariage sans heurts mais également sans passion. Vient alors la maladie de Jacques, un soudain élan d’amour et de dévouement  chez Teresa, puis la mort, qui laisse une jolie veuve quadragénaire. Mais l’épitaphe de Jacques est un dernier geste d’amour : «Et je serai toujours avec toi», promesse biblique du mourant que, de l’au-delà, il se manifestera auprès de son épouse. Lorsqu’un séduisant Croate tombe en panne de voiture près de chez eux et vient solliciter de l’aide, Teresa la catholique ne demande qu’à croire à un signe de son défunt époux : Branko ne vient-il pas d’une ville où la Vierge en personne s’est manifestée ? Et l’air de Wagner qu’il sifflote, n’est-ce pas l’un des airs écoutés par Jacques sur son lit de mort ?

    Peu sensibles à l’approbation apparente de la Sainte Vierge, les deux fils de Teresa sont cependant nettement moins enthousiastes et se méfient de l’étranger, non seulement parce qu’il occupe un peu trop de place dans la maison et le cœur de leur mère mais également parce qu’un meurtre brutal vient secouer le petit village ardennais…

    Outre cette enquête policière ordinaire, « Et je serai avec toi » est un roman d’une grande profondeur, d’une douce poésie aussi, qui s’élève au-delà du fait divers pour aborder des questions morales beaucoup plus larges, à travers le passé de Branko qui a vécu la tragédie yougoslave. Armel Job aborde des thèmes universels, nous parlant de l’amour tendresse (« La tendresse ou plutôt l’attendrissement et même, plus précisément encore, le moment de l’attendrissement, quand le cœur s’emballe, que la volonté perd pied, que l’âme se liquéfie »), de l’amour tristesse (« je les aimais pour ce qu’elles étaient réellement dans mes bras, quand elles m’offraient leur corps désarmant d’être si désarmé, pour un instant de pitié entre deux êtres humains »),  de la fragilité de la justice et de celle des hommes aussi, confrontés à la succession de « répugnantes chrysalides » qu’ils ont parfois été. Un roman doux-amer, fort et troublant, qui donne à réfléchir sur les « dommages collatéraux de la vérité » et que je vous recommande vivement…

    Du même auteur : Tu ne jugeras point


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