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    Le passager d'Amercoeur « Avec le temps, le souvenir des vertes années revient plus souvent. Des figures remontent à la surface de la mémoire, aussi fraîches qu’autrefois. On les croyait noyées, elles reposaient seulement dans les profondeurs de notre âme. Elles attendaient, pour venir nous retrouver, que nous ayons davantage à puiser au passé qu’à l’avenir. » *****

    C’est ainsi que commence le dernier roman d’Armel Job, «Le passager d’Amercoeur». Ce passager qui revient dans les «rêveries nostalgiques» du narrateur, c’est Maurice Modave, dit «Momo», qu’il a connu enfant, alors que sa (trop ?) séduisante mère adoptive le transportait dans le porte-bagages de son vélo dans ce quartier populaire de Liège.

    Momo a bien grandi, il est devenu footballeur puis gérant d’un magasin de chaussures en vue à Liège. Il s’est même marié, à la surprise générale, avec la disgracieuse Grâce, qu’il a préférée à la jolie Laetitia, sa sœur. Seulement voilà, Grâce a la mauvaise idée de chuter de la falaise, chute mortelle qui, si elle est très vite considérée comme un suicide, n’en demeure pas moins suspecte : la villa en haut de la falaise, convoitée par Momo alors qu’il n’était qu’un adolescent, semble porter malheur à ses résidentes…

    « Le passager d’Amercoeur » est un roman psychologique réaliste très réussi que j’ai dévoré en une journée. Les amateurs de littérature apprécieront le style littéraire soigné, la richesse du vocabulaire ainsi que le souci du détail et les Liégeois seront heureux de reconnaître les rues et les ponts de leur ville, à laquelle l’auteur rend un bel hommage («Liège est comme la frayère des truites et des saumons. Si on y est né, on a beau lui préférer des eaux plus fécondes, on finit toujours par y faire retour afin de s'y ressourcer.»).

    Les personnages, en particulier Momo, sont par ailleurs finement dessinés, avec leurs contradictions et leurs ambiguïtés. L’auteur entretient également une certaine confusion entre lui-même et le narrateur, donnant l’impression qu’il nous prend par la main et nous raconte une histoire véridique et renforçant ainsi le sentiment de réalisme.

    Je remercie monsieur Armel Job pour l’envoi dédicacé de ce roman, que j’ai beaucoup aimé. A ceux à qui il donnerait envie de venir se ressourcer à Liège, je conseille cependant d’attendre la fin des travaux du tram smile

     

     


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  • L'inconnue du portrait« Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun commissaire d'exposition, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune femme représentée sur le tableau, ni quels secrets animent l’histoire mouvementée de son portrait. » *****

    Ce mystérieux tableau est le «Portrait d’une dame», peint en 1910 par Gustav Klimt et remanié par ce dernier en 1917 pour une raison inconnue : l’étole et le chapeau ont disparu,  les épaules du modèle sont désormais recouvertes d’un châle blanc et ses cheveux sont attachés en chignon. Qui était la dame du portrait et pourquoi cette peinture a-t-elle été volée avant de réapparaître des années plus tard, intacte, dans un sac poubelle ?

    Nous ne le saurons sans doute jamais et à partir de ce mystère fascinant, Camille de Peretti tisse une saga romanesque prenante. De la Vienne du début du vingtième siècle à l’Italie en passant par New York au moment du krach boursier et de nos jours, elle nous emmène à la rencontre de personnages divers, dont nous comprenons peu à peu les liens qui les unissent. Martha, très jeune fille-mère, servante d’une riche famille autrichienne. Isidore, self-made man qui sera hanté par ce portrait. Pearl, jeune avocate new-yorkaise qui n’a jamais connu son père et a été élevée par sa mère, Michelle, prostituée texane. Franz Brombeere, jeune homme riche qui demande à Gustav Klimt de modifier son tableau…

    «L’inconnue du portrait» est une œuvre très agréable à lire qui propose, à l’aide d’une intrigue bien construite et d’une belle écriture, une explication romanesque passionnante à une énigme artistique qui ne sera peut-être jamais résolue…


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  • Ils abusent grave«Quand une femme tue son conjoint violent, c'est un échec social général. Alors pourquoi sont-elles les seules à en porter la culpabilité ?» *****

    Cette citation n’est que l’une des nombreuses phrases « coup de poing » qui émaillent cette excellente bande dessinée, qui aborde de manière fine, percutante et humoristique à la fois les thèmes du féminisme et des sciences humaines.

    Erell Hannah et Fred Cham passent en revue de nombreuses questions relatives à la place des femmes dans la société et au regard que portent les hommes sur elles. Bien qu’étant déjà sensibilisée et ayant beaucoup lu sur le sujet, j’y ai appris pas mal de choses qui m’ont parfois amusée, souvent indignée.

    Il est difficile de résumer un contenu aussi dense et complet. J’y ai notamment découvert la notion de «procédures bâillons» (comment le système judiciaire peut faire taire les femmes victimes de violences), ce que pensaient Platon et Aristote des femmes (en gros, nous ne sommes pas tout à fait finies… smile), les représentations sexualisées de Cléopâtre dans l’art ou encore le concept du « cachalot sur le rocher » (l’agresseur qui joue la carte de la franchise totale et parle ouvertement de ses crimes).

    Du « victim blaming » à la naissance de la notion de cellulite (eh oui) en passant par des citations répugnantes de Gabriel Matzneff, le concept d’illégitime défense ou encore la « cancel culture », un ouvrage à la fois passionnant et révoltant, d’une actualité brûlante.

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    Mona Chollet, Réinventer l'amour

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  • Veiller sur elle

    « Et puis la version la plus populaire, et la plus secrète, car le romantisme n’entre ici qu’en contrebande : il est là pour veiller sur elle. Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. Elle qui patiente depuis quarante ans. » *****

    Dans une abbaye du Piémont, un homme est sur le point de rendre son dernier souffle. Il n’a jamais prononcé de vœux et pourtant, il vit là en reclus, depuis quarante ans, et veille sur elle…

    Cet homme s’appelle Michelangelo, dit Mimo, et à l’instar de son illustre homonyme, il veut devenir un grand sculpteur. Les fées ne se sont cependant pas penchées sur son berceau : né dans une famille pauvre et orphelin de père, il est atteint de nanisme et est envoyé très jeune chez un oncle brutal et alcoolique.

    Sa vie prend un tournant décisif lorsqu’il rencontre Viola Orsini, jeune fille issue d’une famille illustre, rebelle et anticonformiste. Ils sont alors adolescents et tout au long de leur existence, ils n’auront de cesse de se retrouver et de se séparer, au gré d’une relation intense et marginale.

    Tout en suivant cette étrange histoire d’amour, le lecteur voyage de Pietra d’Alba à Rome en passant par Florence et il effleure l’histoire de l’art grâce à Fra Angelico et à Michel-Ange, avec en filigrane la Pietà de ce dernier, mystérieuse, fascinante. Il plonge aussi, hélas, dans les heures sombres de l’Italie fasciste. « Personne ne fait jamais rien de mal, la beauté du mal étant précisément qu’il ne demande aucun effort. Il suffit de le regarder passer. »

    Un roman magnifique, étourdissant, qui à l’heure où j’écris ces lignes est toujours en lice pour le Goncourt. L’histoire est riche et foisonnante, l’écriture aussi belle que poétique, les deux protagonistes émouvants et inoubliables.

    Quelques extraits que je n’ai pu m’empêcher de surligner…

    « Puis le ciel me prit, et les cyprès, pinceaux abandonnés dans un glacis d’étoiles. »

    « Au-dessus de nos têtes, le ciel s’étourdissait de nuages au ventre sombre, allumés de flamboiements intermittents. »

    « Je ne mesure qu’aujourd’hui ce que la beauté du jour doit à la prescience de la nuit. »

    Un petit bijou smile

     

     

     


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  • Triste tigre« J'ai voulu y croire, j'ai voulu rêver que le royaume de la littérature m'accueillerait comme n'importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection. La littérature ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée. » *****

    « Triste tigre » est un témoignage coup de poing, celui d’une adulte qui revient sur l’abus sexuel qu’elle a subi pendant plusieurs années dans son enfance, abus commis par son beau-père. Neige Sinno décortique, analyse, explore sans concession le drame qu’elle a vécu et ses conséquences.

    Ce livre n’est cependant pas un témoignage brut qui foisonnerait de détails sordides –si, il y en a quelques-uns, inoubliables, mais sans doute étaient-ils nécessaires pour percevoir toute l'abjection. C’est une œuvre littéraire forte, au ton très particulier (Neige Sinno s’adresse souvent à son lecteur), celle d’une femme qui ne veut pas se laisser enfermer dans un rôle de victime tout en reconnaissant à quel point un tel traumatisme brise les êtres à vie. La littérature elle-même y tient une place prépondérante –l’autrice est docteur en littérature–, avec des références à Nabokov, à Annie Ernaux, à Virginia Woolf pour ne citer qu’eux.

    Je termine par quelques phrases que j'ai surlignées, terribles, poignantes...

    « Car quand on est en enfer, on n’écrit pas, on ne raconte rien, on n’invente pas non plus, on est juste occupé à être dans l’enfer. »

    « C’est toujours grand ouvert chez un enfant. Un enfant ne peut pas ouvrir ou fermer la porte du consentement. Il n’atteint pas cette poignée. »

    « Je regarde tendrement ma fille et son père marcher devant moi main dans la main sur un sentier. Vous savez maintenant à quoi je pense, ce à quoi je pense volontiers et ce que je ne peux m’empêcher d’imaginer. »

     

    Un ouvrage marquant de cette rentrée littéraire, dur et brillant à la fois, qui permet de mieux comprendre les victimes et leur "après", même s’il y aura toujours la distance de ceux qui ont la chance de ne pas avoir vécu ça.

     

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    Vanessa Springora, Le consentement

     


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