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Avec toutes mes sympathies
«La lecture est l’endroit où je me sens à ma place. Lire répare les vivants et réveille les morts. Lire permet non de fuir la réalité, comme beaucoup le pensent, mais d’y puiser une vérité. L’essentiel pour moi est qu’un texte sonne juste, que je puisse y discerner une voix, une folie. » *****
Prix Renaudot 2018 de l'essai
Critique littéraire jusqu’alors bercée par les mots des autres, Olivia de Lamberterie choisit à son tour la voie de l’écriture pour exorciser une douleur presque indicible : le deuil de son frère Alexandre, qui s’est donné la mort après avoir erré entre tentatives de suicide et hôpitaux psychiatriques. Elle raconte la relation fraternelle et la famille bourgeoise –quelques fragments d’enfance tantôt heureux, tantôt loufoques, avec en filigrane un portrait émouvant de ce frère qui, tels Romain Gary ou Sylvia Plath, faisait partie de «ces blessés dotés d’une sensibilité trop exacerbée pour supporter de se lever un matin de plus ».
Tous ceux qui ont perdu un être cher ne manqueront pas de se reconnaître dans la douleur qu’elle décrit de sa plume élégante, dans les détails effroyables aussi : le coup de fil qui a des airs de fin du monde, le cadavre qu’il faut regarder en face, les derniers messages envoyés par celui qui avait pris sa décision. A la douleur naturelle de l’absence vient s’ajouter celle du choix de mourir et de la maladie qui a rongé Alexandre tout au long de sa vie, sur laquelle le nom savant de dysthymie a été apposé mais que l’auteure décrit de manière tellement plus bouleversante : «cette mélancolie qui te laissait moribond, <…> cet invisible héritage lestant nos aubes avant de se dissoudre dans le rythme forcené des journées, toujours susceptible de resurgir au petit malheur la chance». Une mélancolie qu’elle comprend d’autant mieux qu’elle s’y reconnaît, telle une malédiction qui frapperait la famille.
La formation littéraire d’Olivia de Lamberterie lui permet de transcender cette douleur pour produire une œuvre juste et touchante, émaillée çà et là d’anecdotes et de références littéraires («rien ne s’oppose plus à cette nuit», «mon frère, mon Dormeur du val»). Une très belle réflexion sur la perte d’un être aimé à la folie, empreinte de souffrance mais aussi de poésie et d’espoir puisque au final, ce «frère éblouissant au cœur sombre» est celui qui a rendu les siens vivants.
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