• Fêlures d'enfance ****

    Je remercie tout d’abord les éditions Passiflore, qui m’ont fait parvenir ce deuxième roman de Pascale Dewambrechies en échange d’une critique honnête. Je ne connaissais pas l’auteure, j’en avais seulement lu des commentaires élogieux dans des groupes de lectures Facebook et je suis ravie de cette  découverte.

    «Juste la lumière» est un roman infiniment sensible, intimiste, pétri des douleurs de l’enfance que l’on emporte en bagage indésirable tout au long d’une vie. Il est écrit à la deuxième personne du singulier -particularité à laquelle on s’habitue très vite- et est composé de chapitres courts et de phrases tout aussi courtes, incisives et pourtant finement ciselées. Il nous parle d’Eva, jeune femme libre et indépendante, écrivain, reconnue socialement et en apparence sûre d’elle. Mais sa relation intense et tourmentée avec Dimitri, metteur en scène égocentrique et volage, laisse éclater les failles sous la carapace de certitudes, devenant prétexte à une quête de soi ayant pour escales les mensonges, la maladie, la colère, la recherche de la paix : «Tu hantes les cimetières aux tombes colorées, joyeuses. Dans ces deuils silencieux étalés sous tes yeux, tu retrouves un peu de la paix que tu perds chaque jour davantage. Les cimetières roumains, qui sont autant de jardins et de parcs fleuris, offrent aux morts sous la pierre une paix qui te transperce.»

    Ce roman nous parle de fêlures ordinaires et pourtant si douloureuses : le ventre qui reste vide de maternité, l’infidélité, la chute «du haut de cet amour qui s’effondre», le fardeau des enfances qui n’ont pas longtemps connu l’insouciance («Que fait-on de ce spermatozoïde perdu dans le corps de l’autre, trop jeune, trop niaise, trop pétrie de futile arrogance pour dire non ?»).

    Une plume à fleur de peau au service d’un voyage émouvant qui ne laisse pas indemne («Ce voyage <…> a frappé mon front contre la roche grise. Il a griffé mon âme de ses doigts de pierre.») et une romancière qui mérite la découverte.


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  • Finaliste du Booker Prize 2016

    Parution en français: 12 octobre 2017

     

    Ceci n'est pas un thriller (mais ce n'est que mon avis et je le partage wink2) ***

    «His Bloody Project» («L’Accusé du Ross-shire») m’a attirée par sa qualité de finaliste au Booker Prize et par les nombreux éloges dont il faisait l’objet : présenté comme un «formidable puzzle romanesque » et un «thriller hors norme», mélangeant drame judiciaire et contexte historique, il avait a priori tout pour me plaire. Au risque d’aller à contre-courant de la majorité des avis (ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas la dernière smile), je dois reconnaître que j’ai terminé cette lecture avec un avis mitigé et un léger sentiment de déception.

    Les recherches généalogiques de l’auteur sont à l’origine du roman : en effet, Graeme Macrae Burnet y trouve trace d’un certain Roderick Macrae, jeune homme de dix-sept ans accusé en 1869 d’un triple meurtre particulièrement barbare dans un petit village des Highlands. Le roman est basé sur le récit de Roderick, présenté en alternance avec des témoignages, des rapports médicaux, des articles de presse, des extraits de son procès, le tout offrant au lecteur une vision des événements tragiques l’ayant mené devant ses juges.

    D’un point de vue historique et littéraire, le roman est effectivement une œuvre de qualité : bien écrit, parfaitement documenté, il nous plonge avec réalisme dans la vie d’une petite communauté écossaise du 19ème siècle : les difficultés quotidiennes, l’exercice (arbitraire) du pouvoir, le fonctionnement de la justice. Il nous offre également une perspective et une réflexion intéressantes sur la question de la responsabilité de ses actes et de la difficulté à la déterminer.

    Ma déception est donc plutôt celle d’une amatrice de romans policiers et d’énigmes, dans la mesure où j’ai attendu vainement ces moments délicieux où l’on se fait surprendre. Ceci est peut-être dû à la contrainte historique, l’auteur étant sans doute limité dans sa liberté littéraire par des faits auxquels il souhaitait se tenir. En outre, la succession des points de vue génère par moments des répétitions un peu fastidieuses (le point positif étant que cela permet de rappeler l’ensemble des données) et l’attribution du récit au narrateur, Roderick, m’a paru peu plausible : est-il réellement concevable de trouver une telle qualité d’écriture et d’analyse chez un jeune homme pour le reste si peu adapté à la vie sociale ? 

    Sans être un mauvais roman, loin de là, «L’Accusé du Ross-shire» n’a donc pas été, à mon sens, à la hauteur des éloges que j’avais pu lire  -en particulier, ses qualificatifs de «truly ingenious thriller» ou «mesmerising literary thriller», qui sont sans doute en partie à l’origine de ma déception. Je pense qu’il plaira davantage aux amateurs de romans historiques  -de ce point de vue, il remplit parfaitement le contrat-  qu’aux lecteurs en quête de mystère et de thrillers, car c’est là selon moi que le bât blesse. A vous de juger smile


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  • Le tricycle rougeLe loup et l’agneau ****

    Je remercie tout d’abord les éditions Hugo Thriller pour l’envoi de ce roman en échange d’une critique honnête.

    Auréolé du prix Michel Bussi du Meilleur Thriller Français, ce premier roman de Vincent Hauuy est une très agréable découverte et laisse présager d’une belle carrière. S’il n’égale pas encore l’illustre nom qui l’a récompensé d’un prix, il a en tout cas tous les atouts pour ce faire.

    Il est difficile de raconter l’intrigue sans la spoiler, aussi me contenterai-je de vous parler de son amorce. Noah Wallace était un profileur exceptionnellement talentueux jusqu’à ce qu’un accident de voiture fasse de lui un autre homme, tant sur le plan personnel que professionnel. Il va pourtant reprendre du service lorsqu’il est contacté par son ex-collègue, Steve, pour enquêter sur un meurtre au Canada, meurtre qui semble lié à l’une de leurs anciennes affaires, celle du Démon du Vermont… démon censé être mort.

    Au même moment, à New-York, la journaliste Sophie Lavallée reçoit d’étranges messages sur son blog, consacré aux affaires classées et aux théories conspirationnistes : des instructions à suivre si elle veut en savoir plus sur la mort d’Edgard Trout, journaliste dont la disparition n’a jamais été élucidée. Vous aurez bien sûr deviné que les deux fils conducteurs vont se rejoindre pour tisser une trame beaucoup plus complexe…

    Le roman compte près de 500 pages mais se lit de manière très fluide et sans temps mort. Les chapitres sont courts, incisifs, avec à chaque fois un titre énigmatique qui, pour peu que vous ayez la curiosité d’utiliser un dictionnaire, vous permettra de briller en société en plaçant nonchalamment au détour d’une conversation «alliciant», «lulibérine» ou encore «zététique». Rassurez-vous, certains titres sont compréhensibles dès la première lecture («Fuite » ou «Olibrius», par exemple) smile

    Outre cette richesse lexicale peu commune dans les thrillers actuels, « Le tricycle rouge » propose au lecteur une intrigue complexe et je n’ai guère été étonnée de lire sur le quatrième de couverture que l’auteur aime créer des puzzles : les perspectives des personnages se succédant au fil des chapitres sont en effet autant de pièces qui finiront par s’assembler pour les explications finales, ma seule (petite) réserve étant qu’il m’était parfois un peu difficile de me souvenir à qui correspondait chaque nom mentionné. Le récit est souvent violent, avec pour motif récurrent les loups, ceux de la célèbre légende Cherokee (lequel va-t-on choisir de nourrir ?) et celui qui sommeille en chacun… aux côtés de l’agneau. 

    Mention particulière pour le prologue, qui en quelques lignes embarque le lecteur sur le petit tricycle rouge qui file à toute allure : « <…> ils voient tous le tricycle rouge, la flaque de sang qui s’écoule… et le petit garçon nu étendu sur l’asphalte. ».

    Un premier roman très prometteur, qui m’a un peu rappelé Franck Thilliez, et une fin qui laisse espérer d’autres aventures de Noah Wallace.

     

     


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  • Un coeur sombreTous les démons des Enfers *****

    Autant le dire tout de suite : habituellement, je n’aime pas les romans noirs mettant en scène des policiers corrompus et le milieu de la pègre et si celui-ci n’avait pas été écrit par RJ Ellory, je n’aurais sans doute même pas été tentée. Mais je sais par expérience, pour en avoir lu et adoré plusieurs («Seul le silence», «Papillon de nuit», «Ghostheart», «Mockingbird Songs»…), que les livres d’Ellory sont captivants et troublants par la noirceur même des sentiments qu’ils mettent à nu.

    Ce cœur sombre, encore plus triste dans le titre original («A Dark and Broken Heart»), est celui de Vincent Madigan, policier désabusé qui ne croit plus à ce qu’il fait («La lente et insidieuse perte de foi dans le système. Puis ça s’était transformé en rancœur, en amertume, en une frustration profonde teintée de désillusion.») et a côtoyé d’un peu trop près la pègre d’East Harlem, se retrouvant dans les dettes jusqu’au cou. Sa vie familiale n’est guère plus harmonieuse : quatre enfants de trois femmes différentes, à savoir deux ex-épouses et une ex-compagne à qui il n’a pas laissé un souvenir impérissable.

    Mais Vincent a une solution pour régler ses problèmes d’argent : un coup en or qui va lui rapporter 400.000 dollars, le seul inconvénient étant que cet argent appartient à son créancier, Sandià, sans doute l’homme le plus dangereux d’East Harlem. Il faudra bien sûr que le sang coule mais Vincent n’est pas à un cadavre près. Quoique… Rien ne laissait présager un dommage collatéral aussi douloureux qu’une petite fille grièvement blessée et c’est alors la part d’humanité que chaque homme  -aussi mauvais fût-il-   garde peut-être en lui qui s’éveille : «Puis ça commença à monter en lui. La culpabilité. La mauvaise conscience. Ça montait à chaque seconde qui s’écoulait, chaque seconde qui le faisait se rendre compte qu’elle était minuscule, jolie, fragile, délicate, brisée, effroyablement abîmée.»

    Commence alors une intrigue trop complexe pour être aisément résumée sans gâcher le plaisir de la surprise. Une histoire qui ravira les amateurs de romans noirs classiques mais qui va également au-delà, puisque comme le titre l’indique, elle se focalise sur le cœur de l’anti-héros, aussi sombre que brisé : «C’était comme si son cœur pleurait dans une pièce sombre et qu’il ne pouvait que l’entendre, jamais le voir ni le toucher, jamais rien faire pour le consoler.» Hanté par ses démons, habité par une ombre qui le possède et le dépasse («Il y a un inconnu dans mon cœur. Il est arrivé sans y être invité. Je voudrais qu’il s’en aille, mais il ne le fera pas.»), Vincent Madigan se battra jusqu’au bout pour préserver l’étincelle d’humanité restée en lui, vers une rédemption tellement idéaliste qu’elle semble peut-être déjà hors d’atteinte.

    Un roman fort et émouvant sur le mal absolu, la culpabilité, le pardon, la faiblesse de l’homme lorsqu’il est entraîné vers un abîme qui semble sans fond : «Peut-être que c’était excitant pendant un temps  -l’imprévisibilité, le côté dangereux et la rugosité qui se cachaient juste derrière ce fin, fin vernis de respectabilité. Mais le vernis n’a pas tardé à s’user, et qu’est-ce qu’il est resté après ? Il est resté Madigan, Vincent Madigan, et tous les démons des Enfers qu’il traîne dans son sillage.»

    Du même auteur: 

    Ghostheart (bientôt traduit sous le titre "Les fantômes de Manhattan")

    Mockingbird Songs

    Les anges de New-York

    Seul le silence

    Papillon de nuit


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  • Un homme accidentelCompte à rebours *****

    Un meurtre à Los Angeles : la banalité devient accident lorsqu’elle met en présence deux êtres qui n’auraient jamais dû se croiser et dont la rencontre sera collision. Entre le policier à la vie rangée et ordinaire et le jeune et séduisant acteur Jack Bell, rien de commun a priori et pourtant, sous la plume de Philippe Besson, «il y a des moments de presque rien, des minutes ordinaires, on en a traversé des tas comme ça avant, mais un beau matin, c’est une fraction de temps pendant laquelle tout bascule. Des silences qui paraissent anodins, on n’éprouve pas le besoin de les remplir, on y est bien mais on appuie le regard un peu trop, on accroche ses yeux à l’autre une seconde de plus qu’il ne faudrait et ça remplit le silence d’un coup, on fait loger un destin dans ce silence. Non, je n’aurais rien pu empêcher.»

    Après «Arrête avec tes mensonges» et «Se résoudre aux adieux», j’ai retrouvé dans « Un homme accidentel » l’émotion que peut procurer la bonne littérature, celle qui avec des mots justes parle directement à l’âme. Dès les premières pages, le lecteur sait qu’il a entamé un compte à rebours où l’homme finit à terre («Et me laisserait-on là, seul et misérable, dans cet avachissement, avec des frissons parcourant tout le corps, seules preuves que je suis encore vivant ?»), dans une histoire de passion condamnée d’avance, qui ne s’embarrasse pas de la morale ni des convenances et qui s’aventure bien au-delà du raisonnable.

    Philippe Besson raconte magnifiquement la détresse amoureuse, avec une sensibilité quasi féminine, nous faisant plonger sans crier gare, au détour d’un passage sublime de justesse, dans des ressentis universels : «C’est terrible, la morsure du manque. Ça frappe sans prévenir, l’attaque est sournoise tout d’abord, on ressent juste une vive douleur qui disparaît presque dans la foulée, c’est bref, fugace, ça nous plie en deux mais on se redresse aussitôt, on considère que l’attaque est passée, on n’est même pas capable de nommer cette effraction, et pourquoi on la nommerait, c’est parti si vite, on se sent déjà beaucoup mieux <…>, la vie continue, le monde nous appelle, l'urgence commande <...> Et puis, le mal devient lancinant, il s’installe comme un intrus qu’on n’est pas capable chasser, il est moins mordant et plus profond, on comprend qu’on ne s’en débarrassera pas, qu’on est foutu.»

    «Un homme accidentel» est un roman brut, tantôt cru, tantôt poétique, qui met à nu sans complaisance les délires et les dérives des amours volées à l'irrationnel. Son héros est un homme ordinaire, touchant car emporté par l’inattendu, qui au final porte sur sa vie un regard tragiquement lucide: «Pour sûr, je n’étais pas taillé pour les turbulences mais aujourd’hui, je me mettrais à genoux et j’implorerais d’être foudroyé à nouveau.»


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