• Le consentement

    Le consentement«Depuis tant d’années, mes rêves sont peuplés de meurtres et de vengeance. Jusqu’au jour où la solution se présente enfin, là, sous mes yeux, comme une évidence: prendre le chasseur à son propre piège, l’enfermer dans un livre.» *****

    Je me méfie souvent des buzz médiatiques en littérature, ces derniers créant des attentes souvent déçues. Je me suis pourtant laissé tenter par « Le consentement », curieuse de voir comment ce sujet allait être traité par une romancière pour qui ce n’était hélas pas une fiction.

    L’histoire se résume à peu de chose et est déjà connue de la plupart des lecteurs en raison des remous qu’elle a provoqués : la liaison entre l’écrivain Gabriel Matzneff, alors âgé de cinquante ans, et la jeune Vanessa, quatorze ans à peine… le plus surprenant étant sans doute que ces remous apparaissent seulement maintenant, à la publication du livre de Vanessa Springora, et non à l’époque des faits.

    Un tel sujet pourrait aisément prêter à de l’impudeur ou à du pathos mais il n’en est rien. Vanessa Springora lève le voile sur son traumatisme avec délicatesse et retenue, revenant de manière cathartique sur la naissance de sa liaison dangereuse (euphémisme) et sur les ondes de choc subies des années plus tard, alors que le pathétique écrivain tente de garder une quelconque emprise sur elle.

    Cet ouvrage a été pour moi à la fois choquant et édifiant. Choquant par le cynisme de son protagoniste, qui n’a de cesse de se donner le beau rôle, que ce soit lorsqu’il s’agit de déflorer des toutes jeunes filles ou d’aller à la recherche de «culs frais» (sic) dans les rues de Manille. Edifiant par ce qu’il révèle du laxisme de la société de l’époque envers de tels agissements. Gabriel Matzneff ne faisait nullement mystère de ses penchants pervers et personne ne trouvait rien à redire lorsqu’il publiait le récit de ses expériences nauséabondes : alors qu’il était accueilli dans une célèbre émission littéraire, seule l’auteure canadienne Denise Bombardier avait eu le courage de s’insurger contre ces pratiques, ainsi que le rappelle Vanessa Springora.

    Le roman de Vanessa Springora est important à plus d’un titre. D’une part, au niveau personnel, il s’agit certainement d’une catharsis devenue indispensable après des années de lutte contre les fantômes. D’autre part, de manière plus générale, il est symptomatique de notre époque et de la parole enfin libérée des femmes. Il souligne également de manière nuancée la question délicate du prétendu consentement et de la culpabilité ressentie par la victime. Enfin, il pose cette question interpellante face à l’impunité des artistes à qui l’on permet ce qui ne serait pas accepté  –à juste titre– chez le commun des mortels : «En dehors des artistes, il n’y a guère que chez les prêtres qu’on ait assisté à une telle impunité. La littérature excuse-t-elle tout ?»

    Eh bien non, elle n’excuse même rien et un pédophile reste un pédophile, point barre. Il suffit pour s’en convaincre de lire ce roman en gardant à l’esprit que ce n’est pas une fiction  –ce serait tellement plus confortable pour le lecteur que ce ne soit qu’une histoire de papier– et que la souffrance de la femme qui a vécu les faits au point de parfois sombrer est bien réelle. Un roman bien écrit, à la fois court et fort, que je vous recommande.

     

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  • Commentaires

    1
    Patrick Crevier
    Dimanche 12 Janvier 2020 à 19:03

    J'étais tombé sur un livre de Matzneff au début des années 80 , où il relatait sans vergognes ses exploits de pedophiles dans les rue de Manille et de Paris, j'avais été consterné et le livre m'était rapidement tombé des mains. Et puis je l'ai oublié mais comment l'intelligentsia parisienne  au coeur du metier a t'elle pu fermer les yeux aussi longtemps et elle aurait sans doute continué sans le livre de Vanessa Springora. L'époque post soixante huit a  décidément bon dos .

    2
    Michel
    Lundi 13 Janvier 2020 à 15:32

    Patrick, je suis probablement de la même génération que vous et j'avais été également sidéré il y a... 40 ans, en lisant un livre de cet auteur, qui m'était aussi tombé des mains.                                                                                                    Ce personnage, G.M. , était (est toujours ?) bien puissant car , à  la même époque, ou peu s'en faut, une enseignante (Gabrielle R.) avait été emprisonnée suite à une liaison avec un de ses élèves de terminale et s'était suicidée. On en avait même fait un film avec Annie Girardot , si je ne m'abuse.                                                   Comme quoi, à cette époque, il valait mieux être écrivain qu'enseignante ???          

     

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