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    En attendant BojanglesFolie douce  ***

    « En attendant Bojangles » n’est pas le genre de lecture que je privilégie habituellement mais il m’a été recommandé par une amie et, même s’il m’a fallu un peu de temps pour y entrer, je ne regrette pas cette découverte.
    « Mr Bojangles » est un titre de Nina Simone qui revient comme un leitmotiv tout au long du roman, accompagnant les danses des protagonistes. Le récit est narré en alternance par un fils et son père, lesquels vivent à l’ombre de la folie tantôt drôle, tantôt dramatique d’une mère extravagante, aimante et aimée. Une vie de fêtes et de folies, peuplée d’êtres aux surnoms délicieux (« L’Ordure », « Mademoiselle Superfétatoire »), à l’encontre des conventions, qui vient soudain se fracasser sur le mur de la réalité et de la maladie mentale. Si le sujet a déjà été traité avec brio par Delphine de Vigan dans "Rien ne s'oppose à la nuit", il n'y a cependant pas lieu d'établir une comparaison (défavorable à l'un ou à l'autre) entre les deux romans, ceux-ci appartenant à des genres très différents et n'ayant pas la même ambition.
    Ce premier roman d’Olivier Bourdeaut est servi par une écriture de qualité et a le mérite d’être tendre, drôle et tragique à la fois. Mon esprit manque peut-être un peu de fantaisie pour en apprécier la pleine mesure mais s’il ne m’a pas touchée ou passionnée comme d’autres ont pu le faire, il s’agit cependant d’une bulle de poésie et d’originalité qui vous fera passer un bon moment.


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  • Les filles des autresHonorable pour un premier roman ***

    Julie Whitaker est âgée de treize ans lorsqu'elle est enlevée en pleine nuit à son domicile, sous les yeux de sa jeune soeur Jane. Choquée, celle-ci ne donne pas l'alerte tout de suite, compromettant ainsi les chances de retrouver Julie. Pendant plusieurs années, l'enquête demeure au point mort, jusqu'à ce qu'une jeune femme se présente chez les Whitaker en prétendant être Julie. A l'euphorie initiale des parents, Tom et Anna, se mêle d'abord l'horreur de ce que Julie raconte avoir vécu pendant sa détention, puis le doute quant à l'identité de la jeune femme. Le récit de la maman, Anna, est interrompu par d'autres voix du passé, qui lèvent peu à peu le voile sur ce qui s'est passé pendant ces années.
    Ce roman est agréable à lire, l'alternance des narrations évitant la monotonie, mais il lui manque l'étoffe des romans qui nous attirent irrésistiblement vers leur résolution -n'oublions pas cependant qu'il s'agit d'un premier roman. La question essentielle est celle de l'identité de la jeune femme et de son vécu mais le suspense n'est pas insoutenable et la comparaison avec les thrillers populaires à succès (Gone Girl, etc) -comparaison qui semble l'argument de vente de tous les romans à suspense actuels-, me paraît surfaite. Intéressant donc (d'autant plus que l'histoire serait inspirée de faits réels) mais pas incontournable.


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    "Arrête avec tes mensonges"A la croisée des chemins entre vie et littérature  *****

    Intersection entre la vie de l’auteur et son œuvre, « Arrête avec tes mensonges » est le premier roman de Philippe Besson que je lis et certainement pas le dernier. Le titre fait référence à la phrase que lui répétait sa mère lorsqu’il était enfant et le livre est la mise en œuvre de cet impératif. Philippe Besson nous dévoile avec un mélange de pudeur et de franchise une relation homosexuelle qui a marqué profondément sa vie alors qu’il était adolescent et qu’il avait tue jusqu’à présent. Alors qu’il est devenu écrivain, il aperçoit un visage qui le foudroie et le ramène à une blessure profonde du passé.
    L’écriture est magnifique, les émotions mises à nu troublantes, la réflexion sur les chemins de vie choisis perturbante. Il ne s’agit pas d’une «apologie de l’homosexualité » comme j’ai pu le lire –parle-t-on d’apologie de l’hétérosexualité à propos de «Sur la route de Madison » ?- mais d’un récit intimiste sobre d’autant plus touchant qu’il est autobiographique. Si comme l’écrit joliment Philippe Besson, « rien ne me touche davantage que le craquèlement des armures et la personne qui s’y révèle », je n’ai pu qu’être touchée par cette part de lui-même qu’il a révélée.

    Du même auteur: 

    Se résoudre aux adieux

    Son frère

    Les jours fragiles

    Un homme accidentel


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  • The Kept WomanThe Kept WomanA l'ombre d'Angie *****

    Déçue par « Pretty Girls », j’ai retrouvé avec plaisir Karin Slaughter au meilleur de sa forme dans ce huitième opus de la série Will Trent. Les habitués de la série y retrouveront tous les ingrédients qui ont fait son succès : une intrigue parfaitement maîtrisée, un découpage temporel qui assure le suspense et les personnages attachants qui ont fait le succès des romans de Karin Slaughter, Will Trent et Sara Linton. Les amateurs de détails sanglants y trouveront également leur compte, l’auteur analysant les scènes de crime avec une minutie clinique.
    La scène d’ouverture est émouvante et remplit parfaitement son rôle : donner envie d’en savoir plus. Le récit se poursuit par la découverte du cadavre d’un ex-policier dans un night-club en construction, night-club appartenant à un sportif en vue, Marcus Rippy, opposé à Will Trent au cours des mois précédents dans le cadre d’une sordide affaire de viol. Plus troublant : la scène de crime est maculée du sang d’une femme qui a quitté les lieux mais qui, à en juger par l’hémorragie, n’a plus que quelques heures à vivre.
    Ce roman présente selon moi deux grandes qualités : d’une part, une enquête intéressante avec de multiples rebondissements et d’autre part, l’évolution de la relation entre les personnages, celle qui unit Sara et Trent étant plus que jamais assombrie par le machiavélisme d’Angie, présente depuis trente ans dans la vie tourmentée de Will. Si « The Kept Woman » peut être lu indépendamment des autres, je conseillerais cependant à ceux qui ne connaissent pas Karin Slaughter de les lire dans l’ordre (deux séries : Grant County / Will Trent), et ce afin de suivre l’évolution sans «spoilers» si vous souhaitiez lire les précédents par après.

     

    Du même auteur:

    Pieces of her

    Une fille modèle


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  • Plaidoyer pour les animauxLes yeux et le coeur ouverts  *****

    Ce « Plaidoyer pour les animaux » est une œuvre magnifique et indispensable dont l’on sort à la fois meurtri et grandi. Meurtri parce qu’il nous livre une succession d’agonies et que pour citer Marguerite Yourcenar, « il me déplaît de digérer les agonies » ; grandi, parce que tant le cœur que l’esprit y puisent une grande richesse.
    La qualité première de ce livre est selon moi l’immense compassion qui s’en dégage. Alors que les défenseurs des animaux sont souvent taxés de sensiblerie ou de fanatisme, Matthieu Ricard remet les choses en perspective et rappelle ce que notre société a une fâcheuse (et volontaire) tendance à oublier : il est légitime de s’indigner et c’est notre attitude d’indifférence actuelle qui est extrême et innommable, et non la prise de conscience de celle-ci. La compassion envers les animaux n’exclut pas celle envers les humains et les défenseurs des animaux ont souvent été aussi des défenseurs des droits de l’homme. Pas question d’humaniser l’animal ou d’animaliser l’homme, il s’agit simplement d’éprouver de l’empathie envers les plus faibles et de cesser de considérer qu’ils existent pour le seul plaisir ou le seul usage de l’homme.
    Un second aspect qui m’a intéressée est la qualité de l’analyse historique et philosophique. Matthieu Ricard retrace, de façon à la fois intelligente et accessible, l’évolution de notre relation à l’animal et fait appel aux grands penseurs pour illustrer son propos. Nous comprenons mieux ainsi comment nous en sommes arrivés là, dans cet état de faillite morale, puisque comme le rappelle Milan Kundera, « Le véritable test moral de l’humanité <…>, ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la plus grande déroute de l’homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent. »
    Tous les aspects de la maltraitance animale, passée et actuelle, sont passés en revue à l’aune de la compassion la plus élémentaire, et de cet effroyable tableau se dégage une vision d’enfer permanent. Matthieu Ricard n’évite aucun tabou, que ce soit le bien-fondé de l’expérimentation animale (des centaines de petits singes séparés de leur mère pour tester la profondeur de l’attachement maternel : est-ce que ce monde est sérieux ?), notre compassion qui s’arrête à la limite de notre assiette (nous mangeons volontiers un animal qui a souffert le martyre tout en considérant notre chien comme un membre de la famille) ou encore la mauvaise foi des aficionados qui parlent de combat loyal là où pour un matador mort, il y a eu 41.500 taureaux massacrés sous les vivats de la foule (« l’instant de triomphe où les épiciers se prennent pour Néron », jolie formule de Brel citée par Matthieu Ricard).
    Deux chapitres m’ont particulièrement interpellée : « Les mauvaises excuses », où sont démontés un à un les arguments auxquels sont souvent confrontés les défenseurs des animaux, et « La tuerie de masse des animaux », où l’analogie (et non la comparaison) avec les camps de concentration est expliquée, l’auteur rappelant notamment que « c’est dans les abattoirs de Chicago que les nazis ont appris comment gérer les corps » (Coetzee) et que ce sont les survivants des camps eux-mêmes qui ont établi ce sinistre lien.
    Chacun peut retirer quelque chose d’infiniment précieux de ce livre. Les végétariens ou végétaliens y trouveront écho de leur conviction profonde par le biais d’une réflexion intelligente et instructive, avec le réconfort de faire partie d’un mouvement croissant de prise de conscience. Quant aux autres, ils feront ce qu’ils voudront de leur lecture : simple information d’ordre moral ou intellectuel ou envie de changer des comportements devenus éthiquement injustifiables à la lumière de ce qu’ils savent. A défaut d’être sensibles à la souffrance animale, ils seront peut-être interpellés par le fait que notre consommation de viande exagérée se fait au détriment des plus pauvres et que lors de la famine en Ethiopie, leurs céréales étaient utilisées pour le bétail des pays riches. Une information parmi des centaines d’autres qui ne peut qu’inciter à la réflexion…
    Matthieu Ricard ne juge pas et n’exhorte pas les gens à changer : il informe, sans retenue, de ce que l’on nous cache trop souvent, il pose les bonnes questions et ce faisant, invite son lecteur à se les poser. Merci, monsieur Ricard, pour ce livre qui allie à un degré rare intelligence et empathie.


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