• Le tatoueur d'Auschwitz
    “They arrive at the gates into Auschwitz and Lale looks up at the words emblazoned above: ARBEIT MACHT FREI. He silently curses whatever god may be listening.” *****

    Parution en français le 16 mai 2018 (City Editions)

    Si comme le titre l’indique, “Le tatoueur d’Auschwitz” fait partie de ces romans qui nous ramènent à l’un des pires moments de l’histoire de l’humanité, il est d’autant plus émouvant qu’il est basé sur une histoire vraie, celle de Lale Solokov. A travers le récit sobre de Heather Morris, c’est la voix de Lale qui nous interpelle pour nous partager son vécu, mélange d’horreur, d’amour et d’espérance.

    Lorsque Lale arrive à Auschwitz en 1942, il est bien loin de se douter des atrocités qu’il va découvrir. Dans son malheur, il a la « chance » d’être distingué des autres prisonniers, notamment grâce à sa connaissance des langues, et se voit désigner comme « Tätowierer », le tatoueur : c’est lui qui sera chargé de « marquer » les prisonniers déchargés dans le camp comme du bétail.

    Au risque d’être considéré comme un collaborateur, Lale accepte ce rôle, parce qu’il lui permet de survivre, et que survivre, c’est la seule façon de vaincre un peu l’ennemi. Il peut également tenter de faire avec le plus de douceur possible un travail qui sera de toute façon accompli par quelqu’un (« If you don’t take the job, someone with less soul than you will, and hurt these people more ») et qui lui procure quelques avantages, notamment des rations supplémentaires qu’il partage avec les moins bien lotis.

    Au milieu des horreurs et brutalités quotidiennes que nous découvrons avec lui, un miracle cependant : son coup de foudre pour l’une des prisonnières, Gita. Ils n’auront dès lors de cesse de voler quelques moments pour se retrouver, en attendant de pouvoir réaliser leur rêve de faire l’amour où et quand ils le veulent…

    « Le tatoueur d’Auschwitz » est évidemment un récit très dur, au cours duquel le lecteur se demande  – une fois de plus – comment l’homme a pu en arriver là, mais non dénué d’espérance : malgré la barbarie, le quotidien est émaillé çà et là de petits héroïsmes, de courages surprenants, de tendresses inattendues, et surtout de cet amour qui suffit à donner la volonté de survivre malgré l'enfer. «If you wake up in the morning, it is a good day. »

    Les dernières parties, notamment l’épilogue et la note de l’auteure, sont particulièrement émouvantes puisqu’elles nous rappellent que les personnages dont nous venons de partager le destin ont été des êtres de chair et de sang, pour lesquels la mémoire et l’histoire ne faisaient qu’un : « There was no parting of memory and history for this beautiful old man – they waltzed perfectly un step. »

     

    Sur des thèmes similaires:

    Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele 

    Sébastien Spitzer, Ces rêves qu'on piétine

    Johana Gustawsson, Block 46 

     

     


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  • Une vie« En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre ». *****

    Elle, c’est Jeanne, jeune fille de bonne famille que nous rencontrons alors qu’elle sort du couvent dans lequel elle a été cloîtrée durant son adolescence. Elle en sort sans rien savoir du monde, pleine d’enthousiasme à l’idée de la vie qui l’attend enfin.

    Mais dans la Normandie du 19ème siècle, le sort des femmes est peu enviable («n’oublie point ceci, que tu appartiens tout entière à ton mari »... urgh ☹️) et ledit mari est de ceux qui donnent envie de faire vœu de chasteté pour le reste de ses jours. Car si Julien de Lamare semble gentil de prime abord, il ne tarde pas à perdre son « vernis et son élégance de fiancé » et à montrer son vrai visage : rustre, avare, volage…  au point que Jeanne en vient rapidement à considérer le mariage comme un « trou ouvert sous vos pas ».

    Heureusement, il y a la maternité, dans laquelle Jeanne croit pouvoir s’épanouir. Mais là aussi, les scénarios de son imaginaire correspondent bien peu à la réalité et sa vie de mère sera elle aussi placée sous le sceau du désenchantement…

    « Une vie » est un roman imprégné de tristesse, la vie de Jeanne étant prétexte à des réflexions sur la solitude et la tristesse vécues ici-bas : « deux personnes ne se pénètrent jamais jusqu’à l’âme, <…>, l’être moral de chacun de nous reste éternellement seul pour la vie. » ou encore « Elle regardait <…> cette radieuse éclosion du jour, se demandant s’il était possible que, sur cette terre où se levaient de pareilles aurores, il n’y eût ni joie ni bonheur. ».

    A ne pas lire les soirs de déprime, donc (même si l’auteur tente de glisser une petite note d’espoir vers la fin, sans doute assailli par le remords), mais à savourer si vous aimez la belle littérature française et l’atmosphère de la campagne normande : le style est magnifique et la nature décrite avec sensibilité et poésie, que ce soient les traînées grises de pluie, le givre hivernal ou la mer qui attendait « l’amant de feu qui descendait vers elle ». Un voyage doux-amer dans une autre vie et un classique à (re)découvrir.

     

     

     

     


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  • Skin Deep« I wondered when rigor mortis would set in, or if it already had. » *****

    C’est par cette réjouissante entrée en matière que commence le nouveau roman de Liz Nugent, “Skin deep”, dont le titre est expliqué dès l’épigraphe : «Beauty is only skin deep, but ugly goes clean to the bone.» 

    Cordelia Russell vit sur la Riviera française depuis de nombreuses années. Nous la découvrons au début du roman comme une femme d’âge mûr qui a manifestement connu des revers de fortune  - l’un des plus préoccupants étant, à ce moment précis, la présence d’un cadavre dans son appartement.

    L’auteur revient alors sur l’enfance de celle qui s’appelait alors Delia O’Flaherty, née sur la petite île d’Inishcrann. Une enfant d’une beauté remarquable, idolâtrée par son père au point qu’il en néglige sa mère et ses frères, et qui comprendra très vite l’usage qu’elle peut tirer de son physique parfait. Car la beauté extérieure de Delia n’a d’égale que sa laideur intérieure : narcissique, incapable d’aimer qui que ce soit, ne recherchant la compagnie des autres que pour ce qu’ils peuvent lui apporter, Delia est une anti-héroïne à chaque étape de son parcours mouvementé. Le genre de personnage que l’on adore détester et qui rendrait n’importe quel homme misogyne… Si vous aimez éprouver de l’empathie pour vos héros, rassurez-vous, il y aura matière à compassion chez les personnages secondaires qui croisent son chemin…

    Le récit biographique de Delia  -qui deviendra Cordelia, clin d’œil à la fille chérie du roi Lear-,  est entrecoupé de légendes  insulaires que lui racontait son père, plus atroces les unes que les autres, et qui contribuent à créer une atmosphère particulière. Par ailleurs, la mer est omniprésente, presque un personnage à part entière, meurtrière lorsqu’elle ne rend pas les corps des pêcheurs, sauvage lorsqu’elle isole l’île, vitale pour Delia qui ne peut rester loin d’elle.

    «Skin deep» est un suspense psychologique bien mené, qui se lit pratiquement d’une traite, et qui réserve l’une ou l’autre surprise vers la fin, après une tension savamment construite. Le genre de livre que l’on termine en se disant « ah ben mince alors… » smile

     

    Du même auteur: Oliver ou la fabrique d'un manipulateur


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    « Le cauchemar  -qui devait durer vingt-cinq ans-  commença donc sous la forme de deux jeunes filles en robe blanche. Ce matin-là, le ciel pluvieux se déployait en nuances de gris, allant du gris perle à des nuées noires qui accouraient par l’ouest, un ciel sans miséricorde, qui ne disait que l’absence d’espoir. » *****

    En 1993, deux sœurs, Ambre et Alice, sont retrouvées mortes au bord de la Garonne, vêtues de robes de communiantes, leurs cadavres attachés à deux troncs d’arbre. Cette mise en scène aussi cruelle que macabre n’est pas sans évoquer un roman à succès, La communiante, écrit par un certain Erik Lang : un écrivain connu pour la noirceur et la perversité de ses récits et dont les deux adolescentes étaient des fans inconditionnelles…

    Martin Servaz est alors un jeune policier sans expérience et sa première grande affaire criminelle lui laisse un goût amer : la résolution du double meurtre ne le satisfait pas entièrement et il reste convaincu que les pièces ne s’emboîtent pas comme elles le devraient. La mort tragique d’une femme vingt-cinq ans plus tard le confortera dans cette certitude : en effet, la victime n’est autre que l’épouse actuelle d’un certain Erik Lang et son décès est à tout le moins… atypique.

     

    Après l’excellent « Nuit », Bernard Minier poursuit sur sa lancée avec ce dernier opus de la pentalogie Martin Servaz. Le lecteur pourrait craindre un essoufflement mais tel n’est pas le cas ici car l’auteur a l’intelligence de se renouveler tout en conservant les ingrédients qui ont fait le succès de la série : le style littéraire, plus soigné que dans la majeure partie des thrillers, une intrigue complexe, un personnage principal qui se révèle davantage à chaque roman (à cet égard, je vous conseille de les lire dans l’ordre pour un plaisir optimal, même si ce n’est pas indispensable à la compréhension de l’intrigue).

    L’idée de revenir sur les débuts de Martin est ingénieuse non seulement parce qu’elle explique le lien entre les deux enquêtes mais également parce qu’elle permet un éclairage complémentaire sur sa personnalité : la mort de son père, les débuts de sa carrière et de son mariage, alors que Margot n’a que deux ans. La seconde enquête permet quant à elle de retrouver Martin tel que nous l’avons quitté dans « Nuit », alors qu’il s’occupe du petit Gustav.

    En faisant d’un romancier l’un de ses personnages principaux, Bernard Minier propose également une mise en abyme intéressante et aborde des thèmes aussi variés que la création littéraire, le lien entre fiction et réalité, la relation entre un auteur et ses lecteurs. Ce qu’il écrit à propos de Lang («il devait bien reconnaître à l’écrivain un certain talent pour restituer les atmosphères les plus sinistres, planter un décor, évoquer une forêt, une lande, un crépuscule descendant sur une colline ou sur une ferme en ruine, tout un théâtre d’ombres à la puissance d’envoûtement indéniable») pourrait tout aussi bien s’appliquer à ses propres récits… même si l’on ne peut qu’espérer que la comparaison s’arrête là J 

    Enfin, le récit est émaillé çà et là de réflexions pertinentes sur les changements et aberrations de notre société, que ce soient la folie autodestructrice de l’humanité («mille éclairages urbains qui épuisaient généreusement les ressources de la planète au profit de quelques citadins debout»), son attitude face aux animaux exotiques («au lieu de les laisser évoluer peinards dans leur milieu naturel, on les voulait dans son salon, dans sa chambre à coucher, dans son garage, enfermés dans des cages ridicules») ou encore les nouvelles technologies qui rapetissent le monde et en font «un monde livré à l’instantanéité, au jugement des autres, à la pensée unique et à la délation».

    Une lecture fluide et un très bon roman policier, dans la lignée des précédents : une pentalogie à découvrir absolument si vous ne la connaissez pas encore.

    Je remercie XO Editions pour l'envoi de cet ouvrage en échange d'une critique honnête.

    Du même auteur: 

    N'éteins pas la lumière

    Nuit


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    La disparition de Joël Dicker *

    Faisant partie des lecteurs enthousiastes de «La vérité sur l’affaire Harry Québert», j’attendais avec impatience la sortie du nouveau roman de Joël Dicker. Et je ne comptais pas me laisser intimider par la critique assassine du journal Le Monde, qui parlait de « littérature introuvable » et que je soupçonnais fortement de snobisme intellectuel.

    Je me suis donc jetée sur «La disparition de Stephanie Mailer» comme un enfant sur un pot de mousse au chocolat… avant de déchanter rapidement.

    Quelques mots sur l’intrigue tout d’abord… Alors qu’il est sur le point de mettre un terme à sa carrière de policier, Jesse Rosenberg reçoit la visite d’une journaliste, Stephanie Mailer, qui lui affirme qu’il s’est trompé de coupable lors d’une enquête en 1994. Pas n’importe laquelle : un quadruple meurtre qui a secoué la petite station balnéaire d’Orphea, le soir de la première du festival de théâtre. Jesse n’y aurait peut-être pas prêté attention si Stephanie n’avait pas subitement disparu dans des circonstances mystérieuses… Que signifiaient les messages relatifs à la «Nuit noire» diffusés à l’époque et surtout, comment va se dérouler le 20ème  anniversaire du festival à Orphea ?

    Il faut avouer que le pitch est séduisant et l’idée de base plutôt bonne. Hélas, j’ai été déçue au point de me demander si  je lisais bien ce même auteur qui m’avait enchantée précédemment. Le roman est bourré d'invraisemblances, de poncifs et de clichés, que ce soient les situations ou les personnages  -certains sont même grotesques au point d’être prodigieusement agaçants. Par ailleurs, de nombreux dialogues sonnent faux et s’il y a de multiples rebondissements et changements de narrateurs, on frôle souvent la caricature dans les scènes évoquées. J’avais même deviné ce qui se cachait derrière la phrase énigmatique laissée par Stephanie, «Ce que personne n’a vu»… ce qui démontre bien qu’il ne faut pas être un génie de la déduction smile

    Une grosse déception donc, et un seul conseil si vous ne connaissez pas Joël Dicker : ne le jugez pas sur ce roman et précipitez-vous plutôt sur «La vérité sur l’affaire Harry Québert», dont j’ai par contre gardé un excellent souvenir.

     

     


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