• Au lieu-dit Noir-Etang«La haute falaise s’effritait lentement et insidieusement comme notre corps s’effrite face au temps, nos rêves face à la réalité et la vie à laquelle on aspire face à celle qu’on mène.» *****

    Une vingtaine d’années après sa première lecture, j’ai eu le bonheur de redécouvrir tout le talent de Thomas H. Cook grâce à ce roman, « The Chatham School Affair », lauréat du prix Edgar Allan Poe 1997.

    L’histoire se déroule en 1926 dans la petite ville de Chatham en Nouvelle-Angleterre et est narrée bien des années plus tard par Henry Griswald, fils du directeur de l’école locale à l’époque. Une petite ville tranquille où les rêves restent sagement à l’étroit mais qui sera bouleversée par l’arrivée d’une jeune enseignante, Elizabeth Channing. Henry est fasciné par son professeur et suit avec toute l’émotion irrationnelle de l'adolescence la naissance de sa relation avec l’un de ses collègues, Leland Reed, marié et père de famille, les considérant comme des Catherine et Heathcliff des temps modernes prisonniers d’insupportables carcans. Le contexte de l’époque est peu favorable à l’éclosion des passions, encore moins lorsqu’elles sont illégitimes, et c’est au lieu-dit Noir-Etang que les destins tragiques des personnages prendront tout leur sens…

    Si vous aimez les romans policiers d’action, passez votre chemin, vous serez déçus. Car c’est lentement, à la manière d’un orfèvre, que Thomas H. Cook crée le suspense et développe son intrigue, celle-ci atteignant son point culminant dans les derniers chapitres. Son écriture est particulièrement soignée, décrivant à merveille les sentiments et les atmosphères, avec comme thème récurrent les idéaux inaccessibles : « Je finis par penser que nous n’avions pas été créés à l’image de Dieu, mais à celle de Tantale, ce que nous désirons le plus dansant perpétuellement devant nos yeux et demeurant éternellement hors de notre portée. ».

    Une dernière phrase pour vous convaincre que, si je ne vous conseille pas de lire Thomas H. Cook lorsque vous êtes d’humeur un peu dépressive, sa mélancolie se teinte également d’une grande beauté littéraire qu’il serait dommage de manquer : « Un bref instant elle parut prendre sur elle le poids le plus lourd, tout un monde de corps brisés, de cœurs broyés, scrutant le firmament dans l’espoir d’y déceler une raison qui expliquerait leur ruine, au-delà des étoiles et des galaxies, dans l’infini, jusqu’au tout dernier éclat de la lumière <…> »

     


    votre commentaire
  • Beaux rivages« Je ne crois pas que l’on puisse mourir d’amour, mais sa perte nous éteint et nous devenons sans lui des pierres sèches, grises. »  ****

    «Beaux rivages» relate une histoire d’une grande banalité : celle d’une rupture amoureuse et surtout de « l’après ». Alors que la narratrice, A., vivait une histoire d’amour intense avec Adrian depuis huit ans, il lui fait part de sa rencontre avec une autre femme et de son choix de mettre un terme à leur relation. A. n’a rien vu venir et ce sont des pans entiers de son univers qui s’écroulent, ne laissant d’elle qu’un cœur pulvérisé.  Commence alors le récit des mois qui suivent : la longue lutte pour ne pas perdre pied, l’addiction masochiste au blog de sa rivale, l’espoir que tout n’est pas fini, les fragments d’une forme de renaissance.

    Un récit banal dans lequel il ne se passe pas grand-chose, il faut bien le reconnaître, et qui pourtant parvient emmener son lecteur, l’espace de quelques heures, dans une tranche de vie qui fait écho à nos propres vécus. Le terme «lectrice» serait plus adéquat car il s’agit avant tout d’un roman de femme, d’un cri de femme devrais-je dire : Nina Bouraoui y dissèque la souffrance intense d’une amoureuse abandonnée, avec une précision clinique et une sensibilité à fleur de peau. Le chagrin d’amour est prétexte à une réflexion plus large sur le bonheur, la passion amoureuse, les abandons antérieurs ravivés par celui de l’être aimé, et aussi sur les sentiments et leur force à double tranchant (« Je lui fais promettre de ne jamais craindre les sentiments, ces rivages que l’on accoste sans en mesurer le danger ni la beauté. »).

    Mention particulière pour l'épigraphe, ces quelques vers magnifiques de Yeats:

    "Même si le grand chant ne doit plus reprendre

    Ce sera pure joie, ce qui nous reste:

    Le fracas des galets sur le rivage,

    Dans le reflux de la vague."

    Un roman doux-amer, servi par une belle écriture et dans lequel bon nombre d’entre nous se reconnaîtront à un moment ou l’autre de leur vie : «si les êtres échouent à se relier par la douceur, ils partagent un territoire commun: celui de la défaite amoureuse. Les larmes rassemblent davantage que les baisers.»

     

    Vous aimerez peut-être :

    Philippe Besson, Se résoudre aux adieux

    Annie Ernaux, Passion simple

    Pascale Joye, Ce qu'il restera de nous

     

     


    votre commentaire
  • Pieces of herPieces of her

    Pas le meilleur de l'auteure ***

    Karin Slaughter fait partie de mes auteurs de prédilection et j’attendais donc son nouveau roman avec d’autant plus d’impatience que le précédent, «The Good Daughter» («Une fille modèle») était excellent. Mes attentes étaient peut-être un peu trop élevées car je dois bien avouer que cette fois, je suis restée sur ma faim.

    Le début était pourtant très prometteur : alors qu’Andy et sa mère Laura fêtent l’anniversaire d’Andy dans un restaurant, des événements dramatiques ont lieu sous leurs yeux, révélant à la jeune femme une facette de sa mère qu’elle ne connaissait pas. Alors que Laura se retrouve au centre de l’actualité, elle enjoint à sa fille de s’enfuir, non sans lui avoir donné une série d’instructions mystérieuses pour organiser sa fuite.

    La fuite d’Andy et les faits qu’elle découvre progressivement alternent avec des événements qui se sont déroulés en 1986, alors qu’une jeune femme prénommée Laura planifie sa vengeance contre celui qu’elle considère responsable du terrible drame qu’elle a vécu. Les deux histoires se complètent peu à peu à la manière d’un puzzle, offrant ainsi au lecteur un tableau d’ensemble de ce qui s’est passé.

    Contrairement aux autres romans de Karin Slaughter, j’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’histoire, parfois confuse et un peu décevante après une excellente entrée en matière, et je n’ai pas ressenti d’empathie envers les personnages comme c’est le cas lorsque l’auteur met en scène Sara Linton et Will Trent. «Pieces of her» reste cependant un bon roman policier, avec une intrigue complexe et bien menée et un rythme soutenu, qui ne m’a déçue que parce que j’en attendais beaucoup et qui ne me dissuadera certainement pas de me précipiter sur le prochain roman de Karin Slaughter smile 

    Si vous ne connaissez pas l'auteure, je vous conseille plutôt "Une fille modèle" (un "standalone") et les séries Sara Linton / Will Trent.

     

    Du même auteur: 

    Une fille modèle

    Angie


    votre commentaire
  • Les oubliés du dimanche«Je ne sais pas à partir de quand on est vieux. < …> Moi je pense que ça commence avec la solitude. Quand l’autre est parti. Pour le ciel ou pour quelqu’un.» *****

    Justine a vingt-et-un ans et travaille comme aide-soignante à la maison de repos « Les Hortensias ». Ses parents sont décédés dans un accident de voiture avec son oncle et l’épouse de celui-ci et elle a été élevée par ses grands-parents avec son cousin Jules, devenu un frère par la force des circonstances.

    Justine aime la musique et les personnes âgées, avec une tendresse particulière pour les « oubliés du dimanche », ceux qui ne reçoivent jamais de visite  –et à qui un mystérieux corbeau va rendre justice de manière très... particulière smile–, mais aussi pour Hélène, vieille dame nonagénaire dont elle va entreprendre d’écrire le récit. Car Justine aime écouter les gens et c’est toute l’histoire d’amour d’Hélène et de Lucien qu’elle va nous faire découvrir…

    Je n’aurais sans doute pas été attirée par le résumé si je n’avais été sous le charme de «Changer l’eau des fleurs», second roman de Valérie Perrin. J’ai eu le plaisir de retrouver dans «Les oubliés du dimanche» ce qui m’avait enchantée dans l’autre : une écriture fluide et agréable, avec des touches de poésie qui semblent surgies de nulle part («je le regarde sous ma frange poser de la tendresse dans les cheveux d’Hélène. Je les regarde depuis ce monde, elle dans les limbes, lui dans la grâce»), des personnages attachants, une grande tendresse et beaucoup de sensibilité tout au long du récit. L’histoire démarre de manière faussement anodine  –une sorte de «tranche de vie» d’une jeune aide-soignante auprès de ses petits vieux–, puis elle prend son envol, emmenant le lecteur dans deux récits prenants : celui d’Hélène et de Lucien, bien sûr, dont la guerre va bouleverser les destins, mais aussi le passé tragique de Justine, qui va connaître un éclairage nouveau…

    Un très beau roman, à la fois drôle et émouvant, plein de douceur et d’humanité, que je vous recommande vivement.

     

    Du même auteur:

    Changer l'eau des fleurs

     


    votre commentaire
  •  

    Changer l'eau des fleurs«Je referme le journal d’Irène le cœur lourd. Comme on referme un roman dont on est tombé amoureux. Un roman ami dont on a du mal à se séparer, parce qu’on veut qu’il reste près de soi, à portée de main.» *****

    Cet extrait décrit parfaitement le sentiment que j’ai eu en refermant «Changer l’eau des fleurs». Un roman dont je n’attendais pourtant pas grand-chose, craignant un mélange de feel good et d’eau de rose et un enthousiasme excessif dans les chroniques que j’avais pu lire, et qui s’est avéré être une excellente surprise  –mieux, un coup de cœur.

    L’histoire est celle de Violette, enfant née sous X, que nous rencontrons alors qu’elle est gardienne de cimetière. Son quotidien, ce sont les enterrements, les proches que l’on accueille, l’entretien des fleurs, et il porte encore les traces d’un passé difficile : une enfance d’assistance publique où l’on essaie d’occuper le moins de place possible, un mariage bancal qui semble être le prolongement de cette enfance. Sa vie bascule lorsqu’un homme se présente à sa porte : sa mère a souhaité que ses cendres accompagnent un défunt du cimetière, un certain Gabriel... qui n’était bien sûr pas son mari.

    Ne vous fiez pas à ce résumé, bien trop réducteur pour exprimer tout le charme de ce roman. Car à travers l’histoire de Violette, ce sont d’autres fragments de vies qui se déroulent sous nos yeux, leur alternance rendant la lecture addictive. Chaque chapitre commence par un extrait de chanson, de poème, une réflexion, le lecteur reconnaissant au passage Hugo, Verlaine ou encore Goldman pour ne citer qu’eux. Le récit est ainsi émaillé de pensées tristes, douces, poétiques, en parfaite harmonie avec le contenu.

    Ce qui m’a touchée dans le livre, c’est qu’il sonne juste et provoque aussi bien l’émotion que le rire. Il aborde des thèmes universels  –le deuil, l’amour, l’espérance– en oscillant entre gravité et légèreté, égratignant au passage le destin qui se joue si bien de nous. Violette est à la fois simple et terriblement attachante, parfois drôle (à propos de son mari, qu’elle a rencontré le jour de la mort de Michel Audiard : « C’est peut-être pour cela <…> qu’on n’a jamais eu grand-chose à se dire. Nos dialogues étaient aussi plats que l’encéphalogramme de Toutankhamon»),  le plus souvent infiniment émouvante. Les différents personnages se dévoilent peu à peu, de manière parfois surprenante, avec en fil rouge une intrigue qui laisse le lecteur la gorge nouée.

    Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce roman, qui raconte les petits et grands drames de la vie avec une très belle sensibilité.

     

    Du même auteur:

    Les oubliés du dimanche


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique