• Les Hauts de Hurle-Vent«Si tout le reste périssait et que lui demeurât, je continuerais d'exister mais si tout le reste demeurait et que lui fût anéanti, l'univers me deviendrait complètement étranger, je n'aurais plus l'air d'en faire partie.» *****

    «Wuthering Heights» («Les Hauts de Hurle-Vent») est une demeure située au sommet d’une colline, battue par les vents du nord. Lorsque Lockwood, nouveau locataire de Thrushcross Grange, s’y rend pour rencontrer son propriétaire, il est frappé par l’atmosphère sinistre qui se dégage de l’endroit et par la dureté de son hôte, Heathcliff. Contraint d’y passer la nuit en raison d’une tempête de neige, il est en proie à des rêves étranges et angoissants, dans lesquels erre le fantôme d’une certaine Catherine…

    Lorsqu’il rentre chez lui, alité et malade, il sollicite la compagnie de la gouvernante, Nelly Dean, qui devient la narratrice principale du récit. Elle emmène alors le lecteur dans les méandres d’une tragédie qui prend sa source il y a plusieurs décennies, lorsque le maître de Hurle-Vent, Mr Earnshaw, ramène de Liverpool un enfant sauvage abandonné qu’il baptisera Heathcliff. Si sa fille Catherine développe rapidement un lien très fort avec le jeune garçon, il n’en va pas de même pour son fils Hindley, qui n’aura de cesse de martyriser les deux enfants lorsqu’il devient maître du domaine.

    L’attachement de Catherine pour Heathcliff ne l’empêche cependant pas d’épouser un riche voisin, Edgar Linton, provoquant ainsi la fuite de son amour. Il revient trois ans plus tard, animé non seulement de sa passion dévastatrice pour Catherine mais également d’un puissant désir de vengeance qui n'épargnera pas leurs descendants…

     

    Le bicentenaire de la naissance d’Emily Brontë (30 juillet 2018) m’a donné envie de me plonger pour la troisième fois dans ce chef-d’œuvre lu il y a une trentaine d’années. Seul un grand classique peut résister à l’épreuve d’une lecture multiple et l’enchantement est bel et bien resté le même, même si le souvenir gardé se modifie quelque peu  –j’avais conservé l’image d’un couple mythique et romantique en gommant leur noirceur et leur côté destructeur.

    Il est fascinant de se dire qu’un récit aussi âpre et bouleversant a pu être écrit par une jeune femme qui n’avait pas encore trente ans et qui n’avait jamais quitté son village. L’intrigue est riche et le style magnifique, l’aspect désuet de l’écriture dans l’emphase de certaines déclarations lui donnant un cachet particulier. Certains passages resteront d’ailleurs dans les annales de la littérature, telle la déclaration de Cathy à Nelly Dean lorsqu’elle tente de décrire son amour pour Heathcliff alors qu’elle vient d’accepter d’épouser Linton.

    Une histoire d’amour autant que de haine, où la violence des sentiments humains est en harmonie avec celle de la nature, et un grand classique que je ne peux que vous recommander vivement.

     


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  • Une autre histoire / TattletaleUne autre histoire / Tattletale

    "No one believes a liar even when they're telling the truth." *****

    éditions Sonatine

    Mags est une avocate qui a fui la Grande-Bretagne pour faire carrière aux Etats-Unis en raison d’une situation familiale compliquée. Elle revient maintenant dans des circonstances tragiques : son frère Abe a fait une chute de quatre étages et végète dans un coma auquel il n’a que peu de chances de survivre. Abe n’a hélas pas connu la même réussite que Mags et il vit dans une ancienne église réaménagée en logements sociaux ; c’est là que Mags s’installe provisoirement, découvrant les autres habitants de l’immeuble et surtout, Jody, la petite amie d’Abe, témoin de la chute, complètement effondrée au chevet de son amour… Jody, une jeune femme visiblement perturbée  –c’est ce que l’on appelle un euphémisme–  et qui ne semble pas tout dire à Mags…

    Le début de «Tattletale» («Une autre histoire») peut donner l’impression qu’il s’agit de l’un des nombreux thrillers psychologiques «classiques» qui inondent le marché et qui finissent par laisser un sentiment de déjà-vu et dès lors de déception. Tel n’est pas le cas ici et j’ai pris un grand plaisir à me laisser surprendre.

    Comme dans tout bon suspense, le lecteur en vient à soupçonner les différents protagonistes et à spéculer sur leurs motivations. J’ai même eu à un certain moment l’impression d’une trop grande facilité (uniquement parce que j’avais deviné quelque chose… deux ou trois pages avant que cela ne soit révélé, bravo Sherlock smile) et simultanément, la crainte susmentionnée de déception. Mais il restait environ un tiers du livre, il devait forcément y avoir autre chose… et j’ai dévoré la dernière partie pratiquement d’une traite. C’est en effet à ce moment que commence «une autre histoire», lorsque les pièces se mettent en place, lorsque les alternances temporelles prennent tout leur sens, lorsqu’un épisode du début, déjà presque oublié, s’explique enfin et vient relancer l’intrigue.

    Certains passages ayant trait à l’enfance de certains protagonistes sont difficiles voire insoutenables mais il ne s’agit nullement de violence gratuite et elle s’inscrit parfaitement dans l’intrigue. Par ailleurs, j’ai aimé le côté réaliste des personnages, notamment celui de Mags : elle n’est pas particulièrement sympathique, ne cherche pas à le paraître, et pourtant, au fil de l’histoire, les failles qui apparaissent la rendent humaine à défaut d’être attachante.

    Un excellent suspense psychologique et une auteure à suivre.  

     

     


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    Les hirondelles de Kaboul«Les terres afghanes ne sont que champs de bataille, arènes et cimetières. Les prières s’émiettent dans la furie des mitrailles, les loups hurlent chaque soir à la mort, et le vent, lorsqu’il se lève, livre la complainte des mendiants au croassement des corbeaux.  <…> La ruine des remparts a atteint les âmes.» *****

    «Les hirondelles de Kaboul» est un roman court  –je l’ai lu en une soirée– mais d’une intensité terrifiante. Servi par une écriture riche, magnifique et poétique, Yasmina Khadra nous plonge dans l’enfer de Kaboul au quotidien et dans la réalité brute de vies qui n’en sont plus.

    Le lecteur partage quelques jours de l’existence de quatre personnages: le geôlier Atiq et sa femme Mussarat, gravement malade, Mohsen et sa jolie épouse, Zunaira, ancienne avocate féministe désormais grillagée. Leurs destins se croisent dans une ville qui a perdu toute joie de vivre, dans laquelle le sourire est interdit et où les hommes ont même oublié à quoi ressemble un visage de femme.

    L’atmosphère étouffante et poussiéreuse de Kaboul est merveilleusement bien rendue («on dirait qu’un soupirail de l’enfer s’est entrebâillé dans le ciel»), écrasant aux sens propre et figuré les êtres qui tentent d’y (sur)vivre : exécutions publiques et répression violente sont le lot quotidien d’une «nation bafouée au point que la cravache est devenue une langue officielle». Au milieu de cette noirceur, une touche d’espoir cependant, un fragment de cette humanité que l’on croyait perdue…

    Un roman grave et lourd, d’autant plus émouvant qu’il prend racine dans une réalité tangible, et un style littéraire d’une grande beauté : une lecture difficile mais qui vaut le détour.

     


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  • The Wave at Hanging Rock«The wave at Hanging Rock was special. What happened that day –later on I mean, when things turned bad– that would never have happened if the wave hadn’t been something special.” *****

    La découverte du premier roman d’un auteur inconnu a une saveur particulière et se solde souvent par un verdict : ce sera le premier et le dernier / vivement les suivants. En ce qui me concerne, c’est sans hésitation que je me précipiterai sur les autres romans de Gregg Dunnett car j’ai passé un délicieux moment avec «The Wave at Hanging Rock».

    Au risqué de paraître affreusement cynique, j’ai beaucoup aimé l’entrée en matière : “The way my dad killed himself was so funny one newspaper gave him a Darwin Award.”  Si vous ne les connaissez pas, je précise que les Darwin Awards mettent à l'honneur les façons de mourir les plus stupides… J  

    Le narrateur, fils du malheureux lauréat de cette récompense peu convoitée, est Jesse, un jeune homme passionné de surf et qui doit quitter son Australie natale suite à ce drame. Il arrive en Angleterre avec sa mère et se lie à deux autres adolescents, John et Darren, qui partagent sa passion pour ce sport et avec qui il cherche les meilleures vagues. Ils découvrent celle de Hanging Rock, fabuleuse, qui devient un secret jalousement préservé… jusqu’à ce que tout bascule.

    En alternance avec le récit de Jesse, l’histoire de Natalie, jeune psychologue dont le mari ne revient pas d’une expédition de surf. Une disparition mystérieuse, pas de corps, pas de raison apparente pour un meurtre ou un suicide. Ce n’est que huit ans plus tard qu’un coup de fil étrange relance la quête de Natalie…

    C’est alors que les deux intrigues se rejoignent et que le mystère est enfin levé. Enfin, pas tout à fait, et c’est précisément ce qui m’a beaucoup plu dans ce roman : là où d’autres auraient pu se terminer sur cette conclusion «classique», le suspense est relancé et l’intérêt du lecteur maintenu jusqu’aux toutes dernières pages. L’auteur gère parfaitement sa narration et ses retournements de situation et je ne me suis pas ennuyée une seule seconde.

    Par ailleurs, j’ai toujours une petite appréhension lorsque l’auteur est un spécialiste d’une matière qui m’est totalement étrangère  –en l’occurrence, le surf–  mais les scènes qui s’y rapportent sont tout à fait compréhensibles pour le profane et s’intègrent parfaitement dans l’ensemble du récit.

    Un premier roman étonnamment abouti, qui a été nominé pour le Chanticleer Clue Awards for the best thriller/suspense novel of 2016 et que je vous recommande vivement si vous cherchez un bon suspense pour cet été.


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  • La mort est mon métierLa banalité du mal *****

    «La mort est mon métier» m’a été recommandé il y a environ un an par l’une de mes élèves, alors âgée de 18 ans, comme un ouvrage sur l’Holocauste qui l’avait bouleversée. En le refermant, je ne peux que confirmer ce sentiment, auquel j’ajouterais mon incrédulité et mon effroi face à tant de cynisme.

    Le sujet n’est pas neuf et a été abordé avec brio dans plusieurs ouvrages récents (voir liens ci-dessous) mais «La mort est mon métier» (1952) présente une perspective différente des autres romans que j’ai pu lire sur le sujet. Le narrateur est un certain Rudolf Lang, dont l’auteur nous explique dans la préface qu’il s’agit de Rudolf Höss, commandant du camp d’Auschwitz, et le récit est composé de deux parties.

    La première, que j’ai trouvée un peu lente à se mettre en place, retrace l’enfance et la jeunesse de Rudolf, création pour laquelle l’auteur s’est basé sur les entretiens de Höss avec son psychologue. Nous y découvrons un père rigide qui destinait son fils à la prêtrise, un enfant en manque d’amour, un jeune homme qui brave les interdits pour aller se battre pour sa patrie alors qu’il n’a que quinze ans. Rien d’extraordinaire cependant, rien en tout cas qui laisse présager la terrifiante seconde partie  – basée quant à elle sur les documents du procès de Nuremberg.

    Rudolf est remarqué par ses supérieurs («un talent d’organisateur et de rares qualités de conscience») et ne tarde pas à gravir les échelons de l’infernale machine nazie. Couronnement suprême : il se voit chargé de la gestion d’un camp près du village polonais d’Auschwitz. But de l’opération: parvenir à augmenter le rendement en matière d’élimination des prisonniers et de gestion des cadavres.

    C’est dans cette partie que le livre prend toute sa force et tout son sens. Les Juifs ne sont plus que des «unités», les Juives les «femelles» d’une race à éradiquer de la manière la plus efficace possible. Au fil des pages, Rudolf Lang décrit l’organisation de cette mise à mort à grande échelle, de ses balbutiements (utilisation de gaz de camions, retard dans le traitement des corps) à son développement ultime. Rien ne nous est épargné:  ses visites dans d’autres camps pour y observer les erreurs qui peuvent ralentir les objectifs fixés par le Führer, son immonde satisfaction lorsqu’il a l’idée d’utiliser le gaz Zyklon B («le résultat de l’expérience dépassait mon espoir») et de construire des fours au lieu des fosses où l’on brûlait les cadavres.

    L’impact terrible de cette «biographie» réside dans la personnalité glaçante de son narrateur : un personnage, a priori banal, qui n’a plus aucune humanité ni moralité, sans aucune autre raison que la soumission aux supérieurs, et qui justifie d'ailleurs son comportement par l’obéissance aux ordres, quels qu’ils soient («je n’ai pas à m’occuper de ce que je pense. Mon devoir est d’obéir.»), au point d’admettre qu’il tuerait son enfant si son supérieur l’ordonnait.

    Une lecture difficile voire insoutenable, vous l’aurez compris, mais une littérature nécessaire au devoir de mémoire et une réflexion sur la «banalité du mal» dont parlait Hannah Arendt.

     

    Sur des sujets similaires:

    Sébastien Spitzer, Ces rêves qu'on piétine

    Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele

    Heather Morris, Le tatoueur d'Auschwitz


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