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    Changer l'eau des fleurs«Je referme le journal d’Irène le cœur lourd. Comme on referme un roman dont on est tombé amoureux. Un roman ami dont on a du mal à se séparer, parce qu’on veut qu’il reste près de soi, à portée de main.» *****

    Cet extrait décrit parfaitement le sentiment que j’ai eu en refermant «Changer l’eau des fleurs». Un roman dont je n’attendais pourtant pas grand-chose, craignant un mélange de feel good et d’eau de rose et un enthousiasme excessif dans les chroniques que j’avais pu lire, et qui s’est avéré être une excellente surprise  –mieux, un coup de cœur.

    L’histoire est celle de Violette, enfant née sous X, que nous rencontrons alors qu’elle est gardienne de cimetière. Son quotidien, ce sont les enterrements, les proches que l’on accueille, l’entretien des fleurs, et il porte encore les traces d’un passé difficile : une enfance d’assistance publique où l’on essaie d’occuper le moins de place possible, un mariage bancal qui semble être le prolongement de cette enfance. Sa vie bascule lorsqu’un homme se présente à sa porte : sa mère a souhaité que ses cendres accompagnent un défunt du cimetière, un certain Gabriel... qui n’était bien sûr pas son mari.

    Ne vous fiez pas à ce résumé, bien trop réducteur pour exprimer tout le charme de ce roman. Car à travers l’histoire de Violette, ce sont d’autres fragments de vies qui se déroulent sous nos yeux, leur alternance rendant la lecture addictive. Chaque chapitre commence par un extrait de chanson, de poème, une réflexion, le lecteur reconnaissant au passage Hugo, Verlaine ou encore Goldman pour ne citer qu’eux. Le récit est ainsi émaillé de pensées tristes, douces, poétiques, en parfaite harmonie avec le contenu.

    Ce qui m’a touchée dans le livre, c’est qu’il sonne juste et provoque aussi bien l’émotion que le rire. Il aborde des thèmes universels  –le deuil, l’amour, l’espérance– en oscillant entre gravité et légèreté, égratignant au passage le destin qui se joue si bien de nous. Violette est à la fois simple et terriblement attachante, parfois drôle (à propos de son mari, qu’elle a rencontré le jour de la mort de Michel Audiard : « C’est peut-être pour cela <…> qu’on n’a jamais eu grand-chose à se dire. Nos dialogues étaient aussi plats que l’encéphalogramme de Toutankhamon»),  le plus souvent infiniment émouvante. Les différents personnages se dévoilent peu à peu, de manière parfois surprenante, avec en fil rouge une intrigue qui laisse le lecteur la gorge nouée.

    Vous l’aurez compris, je vous recommande vivement ce roman, qui raconte les petits et grands drames de la vie avec une très belle sensibilité.

     

    Du même auteur:

    Les oubliés du dimanche


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    Jane DoeSuspense et humour noir ****

    Jane est une jeune femme discrète qui a interrompu sa carrière en Malaisie pour revenir à Minneapolis, où elle occupe maintenant un poste peu qualifié dans une compagnie d’assurances. Choix étrange à première vue, car elle n’y a plus d’attaches, sa meilleure amie est morte et sa famille est de celles que l’on ne souhaite à personne. Mais l’entreprise dans laquelle elle travaille compte parmi ses membres un certain Steven Hepsworth, fils de pasteur, homme bien sous tous rapports, et qui intéresse beaucoup Jane. Steven a une attirance particulière pour les femmes fragilisées… et Jane va dès lors lui donner exactement ce qu’il attend.

    Ce que Steven ignore, c’est que Jane est une sociopathe  –c’est elle qui le dit. Il ne sait pas non plus que Jane est déterminée à s’infiltrer dans sa vie et à se venger ; il n’a d’ailleurs aucun motif de soupçonner quoi que ce soit puisqu’elle est pour lui une «Jane Doe» (nom utilisé pour désigner une femme inconnue) et qu’il ne la connaissait pas auparavant.

    Une histoire de vengeance classique, donc, rien de bien nouveau sous le soleil, et je ne suis pas sûre que le résumé à lui seul m’aurait tentée. De nombreux avis positifs m’ont incitée à m’y risquer et j’en suis ravie car j’ai passé un délicieux moment de lecture. Il ne s’agit pas vraiment d’un «thriller» psychologique, plutôt d’un suspense (comment Jane va-t-elle exécuter son plan machiavélique), qui se lit avec beaucoup de plaisir en raison de la personnalité de Jane et de son humour noir (par exemple, à propos de sa liaison avec un professeur marié : «He has sobbed with shame and guilt. Afterward, of course. Always afterward. Erections and guilt can’t exist in the same plane. One makes way for the other.»).

    Je me suis surprise à prendre très vite le parti de la narratrice sociopathe et à me réjouir de ce qui arrivait à Steven  –bien que n’étant pas du tout encline à la Schadenfreude, je vous assure smile. En effet, Steven devient de plus en plus antipathique au fil de la lecture et Jane est quant à elle à la fois drôle, cynique et sarcastique ; ses réflexions décalées m’ont d’ailleurs fait (sou)rire plus d’une fois… ce qui est plutôt rare dans les suspenses psychologiques.

    Une découverte très agréable que je vous recommande vivement pour un bon moment de détente.

    NB : il s’agit d’une nouveauté et il n’est donc pas encore traduit en français.

     


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  • Les Hauts de Hurle-Vent«Si tout le reste périssait et que lui demeurât, je continuerais d'exister mais si tout le reste demeurait et que lui fût anéanti, l'univers me deviendrait complètement étranger, je n'aurais plus l'air d'en faire partie.» *****

    «Wuthering Heights» («Les Hauts de Hurle-Vent») est une demeure située au sommet d’une colline, battue par les vents du nord. Lorsque Lockwood, nouveau locataire de Thrushcross Grange, s’y rend pour rencontrer son propriétaire, il est frappé par l’atmosphère sinistre qui se dégage de l’endroit et par la dureté de son hôte, Heathcliff. Contraint d’y passer la nuit en raison d’une tempête de neige, il est en proie à des rêves étranges et angoissants, dans lesquels erre le fantôme d’une certaine Catherine…

    Lorsqu’il rentre chez lui, alité et malade, il sollicite la compagnie de la gouvernante, Nelly Dean, qui devient la narratrice principale du récit. Elle emmène alors le lecteur dans les méandres d’une tragédie qui prend sa source il y a plusieurs décennies, lorsque le maître de Hurle-Vent, Mr Earnshaw, ramène de Liverpool un enfant sauvage abandonné qu’il baptisera Heathcliff. Si sa fille Catherine développe rapidement un lien très fort avec le jeune garçon, il n’en va pas de même pour son fils Hindley, qui n’aura de cesse de martyriser les deux enfants lorsqu’il devient maître du domaine.

    L’attachement de Catherine pour Heathcliff ne l’empêche cependant pas d’épouser un riche voisin, Edgar Linton, provoquant ainsi la fuite de son amour. Il revient trois ans plus tard, animé non seulement de sa passion dévastatrice pour Catherine mais également d’un puissant désir de vengeance qui n'épargnera pas leurs descendants…

     

    Le bicentenaire de la naissance d’Emily Brontë (30 juillet 2018) m’a donné envie de me plonger pour la troisième fois dans ce chef-d’œuvre lu il y a une trentaine d’années. Seul un grand classique peut résister à l’épreuve d’une lecture multiple et l’enchantement est bel et bien resté le même, même si le souvenir gardé se modifie quelque peu  –j’avais conservé l’image d’un couple mythique et romantique en gommant leur noirceur et leur côté destructeur.

    Il est fascinant de se dire qu’un récit aussi âpre et bouleversant a pu être écrit par une jeune femme qui n’avait pas encore trente ans et qui n’avait jamais quitté son village. L’intrigue est riche et le style magnifique, l’aspect désuet de l’écriture dans l’emphase de certaines déclarations lui donnant un cachet particulier. Certains passages resteront d’ailleurs dans les annales de la littérature, telle la déclaration de Cathy à Nelly Dean lorsqu’elle tente de décrire son amour pour Heathcliff alors qu’elle vient d’accepter d’épouser Linton.

    Une histoire d’amour autant que de haine, où la violence des sentiments humains est en harmonie avec celle de la nature, et un grand classique que je ne peux que vous recommander vivement.

     


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  • Une autre histoire / TattletaleUne autre histoire / Tattletale

    "No one believes a liar even when they're telling the truth." *****

    éditions Sonatine

    Mags est une avocate qui a fui la Grande-Bretagne pour faire carrière aux Etats-Unis en raison d’une situation familiale compliquée. Elle revient maintenant dans des circonstances tragiques : son frère Abe a fait une chute de quatre étages et végète dans un coma auquel il n’a que peu de chances de survivre. Abe n’a hélas pas connu la même réussite que Mags et il vit dans une ancienne église réaménagée en logements sociaux ; c’est là que Mags s’installe provisoirement, découvrant les autres habitants de l’immeuble et surtout, Jody, la petite amie d’Abe, témoin de la chute, complètement effondrée au chevet de son amour… Jody, une jeune femme visiblement perturbée  –c’est ce que l’on appelle un euphémisme–  et qui ne semble pas tout dire à Mags…

    Le début de «Tattletale» («Une autre histoire») peut donner l’impression qu’il s’agit de l’un des nombreux thrillers psychologiques «classiques» qui inondent le marché et qui finissent par laisser un sentiment de déjà-vu et dès lors de déception. Tel n’est pas le cas ici et j’ai pris un grand plaisir à me laisser surprendre.

    Comme dans tout bon suspense, le lecteur en vient à soupçonner les différents protagonistes et à spéculer sur leurs motivations. J’ai même eu à un certain moment l’impression d’une trop grande facilité (uniquement parce que j’avais deviné quelque chose… deux ou trois pages avant que cela ne soit révélé, bravo Sherlock smile) et simultanément, la crainte susmentionnée de déception. Mais il restait environ un tiers du livre, il devait forcément y avoir autre chose… et j’ai dévoré la dernière partie pratiquement d’une traite. C’est en effet à ce moment que commence «une autre histoire», lorsque les pièces se mettent en place, lorsque les alternances temporelles prennent tout leur sens, lorsqu’un épisode du début, déjà presque oublié, s’explique enfin et vient relancer l’intrigue.

    Certains passages ayant trait à l’enfance de certains protagonistes sont difficiles voire insoutenables mais il ne s’agit nullement de violence gratuite et elle s’inscrit parfaitement dans l’intrigue. Par ailleurs, j’ai aimé le côté réaliste des personnages, notamment celui de Mags : elle n’est pas particulièrement sympathique, ne cherche pas à le paraître, et pourtant, au fil de l’histoire, les failles qui apparaissent la rendent humaine à défaut d’être attachante.

    Un excellent suspense psychologique et une auteure à suivre.  

     

     


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    Les hirondelles de Kaboul«Les terres afghanes ne sont que champs de bataille, arènes et cimetières. Les prières s’émiettent dans la furie des mitrailles, les loups hurlent chaque soir à la mort, et le vent, lorsqu’il se lève, livre la complainte des mendiants au croassement des corbeaux.  <…> La ruine des remparts a atteint les âmes.» *****

    «Les hirondelles de Kaboul» est un roman court  –je l’ai lu en une soirée– mais d’une intensité terrifiante. Servi par une écriture riche, magnifique et poétique, Yasmina Khadra nous plonge dans l’enfer de Kaboul au quotidien et dans la réalité brute de vies qui n’en sont plus.

    Le lecteur partage quelques jours de l’existence de quatre personnages: le geôlier Atiq et sa femme Mussarat, gravement malade, Mohsen et sa jolie épouse, Zunaira, ancienne avocate féministe désormais grillagée. Leurs destins se croisent dans une ville qui a perdu toute joie de vivre, dans laquelle le sourire est interdit et où les hommes ont même oublié à quoi ressemble un visage de femme.

    L’atmosphère étouffante et poussiéreuse de Kaboul est merveilleusement bien rendue («on dirait qu’un soupirail de l’enfer s’est entrebâillé dans le ciel»), écrasant aux sens propre et figuré les êtres qui tentent d’y (sur)vivre : exécutions publiques et répression violente sont le lot quotidien d’une «nation bafouée au point que la cravache est devenue une langue officielle». Au milieu de cette noirceur, une touche d’espoir cependant, un fragment de cette humanité que l’on croyait perdue…

    Un roman grave et lourd, d’autant plus émouvant qu’il prend racine dans une réalité tangible, et un style littéraire d’une grande beauté : une lecture difficile mais qui vaut le détour.

     


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