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« L’heure entre chien et loup, the hour between a dog and a wolf. The time at which one thing might appear to be another, when something benign might appear threatening, when an enemy might come calling in the shape of a friend. » *****
« The Blue Hour » (« L’heure bleue) commence par une étrange découverte : parmi les éléments qui composent l’une des œuvres de feu l’artiste Vanessa Chapman figure… un os humain. Le conservateur, James Becker, est alors envoyé sur l’île d’Eris, une île acquise par l’artiste et qui n’est accessible qu’à marée basse, afin d’y trouver d’autres documents et œuvres de Vanessa. C’est là que vit encore son amie et exécutrice testamentaire Grace Haswell, et c’est là également qu’a mystérieusement disparu Julian, le mari de Vanessa…
« The Blue Hour » a parfois été présenté comme un thriller, ce qui à mon sens peut expliquer les critiques mitigées. J’ai pour ma part beaucoup apprécié ce « slow-burn mystery », qui relève davantage du roman d’atmosphère que du thriller trépidant. Paula Hawkins parvient à créer une ambiance envoûtante, au rythme des marées et des vents du large, ambiance qui cadre à merveille avec le thème de l’art et avec les personnages troubles et complexes qu’elle met en scène. Les mystères de l’île d’Eris se dévoilent peu à peu, grâce à une alternance entre le passé et le présent qui maintient l’intérêt du lecteur.
Un roman à l’atmosphère gothique et parfois oppressante, qui devrait plaire aux admirateurs de Patricia Highsmith et Ruth Rendell.
Du même auteur:
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« Je me rappelais avoir lu dans un livre d’histoire qu’un jour on avait retrouvé des corps de femmes du néolithique au squelette fracturé par la violence des hommes. La violence que vivait ma mère avait l’odeur des grottes et des cavernes de la préhistoire, l’odeur de la violence millénaire. » ****
J’ai eu envie de lire "Monique s"évade" après avoir entendu Edouard Louis en parler dans une émission de télévision (probablement la Grande Librairie). Et d’une manière tout à fait particulière, tout au long du livre, j’ai eu l’impression d’entendre sa voix nous raconter l’histoire de Monique, sa mère, d’écouter le récit de cette évasion vue par un fils aimant.
« Monique s’évade » est le récit d’une résilience et d’une libération : après une vie de soumission aux brutes qui ont malmené sa vie, Monique appelle enfin son fils, en pleurs, pour lui dire qu’elle va partir. Enfin.
Edouard n’est pas sûr d’oser y croire mais il sera là, à distance car en voyage professionnel, pour orchestrer cette fuite, en régler les détails pratiques, s’assurer que Monique se fait à sa nouvelle vie et qu’elle ne va pas replonger.
Au-delà de cette histoire somme toute banale, ce sont les réflexions « sociales » du récit qui m’ont interpellée. L’auteur parle notamment de toutes les « absences » de la vie de sa mère qui font partie d’un même système : pas de permis de conduire, pas de formation professionnelle, aucune maîtrise de l’ordinateur… absences qui condamnent toutes les « Moniques » de ce monde à une même impossibilité de délivrance. Mais il y a aussi les autres absences, celles auxquelles on ne pense pas mais qui constituent une autre forme d’exclusion et qu’il appelle les « dépossessions » : « les saveurs, les odeurs, les sensations jamais connues ».
A l’instar de Virginia Woolf dans « Une chambre à soi » (où elle évalue la rente nécessaire à une femme pour pouvoir écrire), il s’interroge également sur le coût réel de cette prise de liberté, en termes très concrets : combien d’euros pour s’affranchir de la violence ?
Le style est simple et sans fioritures, parfaitement adapté au type de récit selon moi : l’histoire sonne « vrai ». On a l’impression qu’on pourrait la croiser dans la rue, Monique, on aimerait pouvoir la féliciter, et on s’émeut avec son fils de cette liberté enfin conquise. Et on a la gorge serrée lorsque Monique, pour la première fois de sa vie, monte sur une scène de théâtre et regarde le monde à travers le hublot d’un avion…
Une histoire de résilience, d’émancipation et d’amour filial qui a su trouver un ton juste et sans pathos.
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Pascale Joye, La Gravité des étoiles
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« Clébards et « sales chiennes » sont les premières victimes du patriarcat et ont développé au fil de l’histoire de l’humanité une relation unique. Car le capitalisme s’est fondé sur une double exploitation : celle des animaux et celle du corps des femmes. Toute la domination masculine repose là-dessus, sur cette hiérarchie des vies, celles des femmes et des chiens figurant tout au bas de l’échelle. » *****
Tel est le constat interpellant de « Assise, debout, couchée », un court essai dans lequel Ovidie évoque avec une infinie tendresse les chiens qui ont partagé et partagent encore sa vie. Avec au cœur de son histoire Raziel, dont elle n’hésite pas à accoler le nom au sien pour devenir ovidieraziel, tout simplement…
Ce livre est bien sûr une déclaration d’amour aux canidés mais pas que et j’ai ressenti diverses émotions lors de ma lecture. Il y a bien sûr l’émotion brute et l’empathie lorsqu’elle évoque la mort de Raziel (qui n’a pas manqué de me bouleverser, à l’instar de la mort d’Ubac dans « Son odeur après la pluie », auquel Ovidie fait d’ailleurs explicitement référence). Il y a également les touches d’humour, les scènes quotidiennes qui font sourire, et ce vilain petit félin qui s’est imposé dans sa vie et dont le nom dont elle l’a affublé m’a bien fait rire.
Et puis il y a le reste, la colère et la tristesse lorsqu’elle parle du sort de la petite Laïka, envoyée dans l’espace pour y mourir seule, les odieux canicides qui ont jalonné l’histoire, ou encore le sort des beagles de laboratoire, cyniquement choisis pour leur docilité et leur gentillesse (à noter que ces passages sont particulièrement difficiles à lire, j’avoue ne pas m’y être attardée).
L’originalité de ce livre réside dans l’exploration de la relation entre les femmes et les chiens, leurs meilleurs gardiens face à la violence masculine, dont ils sont également les premières victimes. Plusieurs réflexions très justes et très pertinentes m’ont interpellée, qu’il s’agisse de l’implication majoritairement féminine dans la protection animale, de la forme de parentalité que peut représenter l’adoption d’un chien pour les exclus de la société ou encore les canons de beauté dont sont victimes tant les femmes que les chiens au fil de l’histoire, perdant ainsi tout contrôle de leur corps.
Un ouvrage particulier qui émeut, qui amuse, qui fait réfléchir, et qui est avant tout un cri d’amour adressé au meilleur ami… de la femme.
« Il me perçoit au quotidien telle que je suis, sans admiration ni condamnation morale. < …> Je suis toute sa vie. »
« L’amour des chiens est à la fois un cadeau et une malédiction, c’est une des choses les plus pures de cette planète et en même temps, c’est une douleur qui s’annonce. »
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Cédric Sapin-Defour, Son odeur après la pluie
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« J’étais sidérée, j’ignorais encore à quel point j’allais mourir de cela ma vie entière. Je me détestais de brutaliser ainsi ma mère en bas de cet escalier 12 où nous avions manqué de tout, c’est vrai, sauf de vie et d’espoir. Mais là, la vie, l’espoir, c’était terminé. » *****
Naëlle (Nana, Nadège sans doute…) grandit dans une cité HLM de Belleville avec son frère et ses petites sœurs (tous de pères différents). Elle fait la navette entre sa mère, Jeanne, bohème, perpétuellement endettée, et « Grand-Maman », qui les aime de son mieux et s’efforce de leur donner le cadre qui leur fait défaut.
Au début du roman, la narratrice vient de quitter son travail dans le social (« il se passe des choses que je ne veux plus voir ni savoir ») et revient sur les lieux de son enfance. Elle égrène les souvenirs, ceux qui sont heureux et ceux qui le sont moins, jusqu’à Gustave, nommé ainsi en hommage à Mahler, très justement surnommé Gustave Malheur, un garçon aussi beau qu’immature, dont elle se retrouve enceinte à dix-neuf ans. Un père absent, que Naëlle qualifie plutôt de « génitueur », une vie loin du conte de fées, jusqu’au drame…
« Mon petit » est un premier roman que j’ai découvert par hasard, sans trop savoir à quoi m’attendre. Je me suis rapidement laissé séduire par la plume alerte de Nadège Erika et par sa manière grave et légère à la fois de raconter son milieu social et sa vie d’enfant pauvre, avec des touches d’humour qui m’ont fait sourire. La deuxième partie, celle de « l’après », arrive comme un coup de massue : le ton devient plus introspectif, déclinant toutes les nuances d’un chagrin indicible.
Une très belle découverte, d’autant plus émouvante que l’on devine la femme meurtrie se confondre avec l’autrice : « J’écris pour emballer mes tourments dans un corps de papier et mettre des mots sur une histoire qui en a manqué. Au même titre que d’autres fluides corporels, l’écriture, chez moi, est une sécrétion. Et puis je n’ai plus que ça à faire. »
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« Chasser le souvenir de l’accident est une tâche impossible, il est sous la peau, dans chaque cellule du cerveau. Il faut vivre avec, ou alors se foutre en l’air. Ils ont choisi de vivre. » ****
Cet accident, c’est la noyade de Gabi, dix ans, un soir d’intempéries, alors qu’il est sorti avec son père, Thomas : un enfant qui court, se prend les pieds dans un anneau d’amarrage, tombe dans la mer déchaînée. Il reste quelques jours à la juge d’instruction Dominique Bontet pour décider de la clôture définitive de ce dossier douloureux mais elle hésite encore, un petit quelque chose qu’elle ne parvient pas à identifier l’empêche d’être totalement convaincue…
Malgré son titre, ce sont les femmes que « On dirait des hommes » met à l’honneur. Anna Sénéchal, la compagne de Thomas et maman de Gabi, infirmière dévouée aux autres. Dominique, la juge consciencieuse et profondément humaine. Iris, une épouse et une mère en souffrance qui va croiser le chemin des deux autres femmes. Thomas, le fil rouge de l’histoire, est un personnage peu sympathique qui m’a vite agacée malgré sa détresse bien compréhensible : un homme obnubilé par ses rêves manqués, par sa vie qu’il juge trop étriquée sans pour autant réagir… un « anti-héros » bien pâle comparé aux protagonistes féminines de l’histoire.
« On dirait des hommes » est un roman psychologique qui se focalise avant tout sur les relations humaines et en particulier la relation d’un couple confronté à la pire des épreuves. L’auteur réussit à maintenir l’intérêt de son lecteur alors qu’il se contente de narrer des vies hélas ordinaires, ce qui n’est pas un exercice facile. Le suspense est savamment distillé par petites touches tout au long de l’histoire et je ne m’attendais pas à la révélation finale, qui laisse un arrière-goût amer.
Une belle découverte et un livre que je vous recommande si vous aimez les suspenses psychologiques sombres.
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Pascale Joye, La Gravité des étoiles
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