• Les hommes ont peur de la lumière« We can easily forgive a child who is afraid of the dark ; the real tragedy of life is when men are afraid of the light » **

    C’est cette citation de Platon qui sert d’épigraphe au dernier roman de Douglas Kennedy, « Les hommes ont peur de la lumière » (« Afraid of the Light »), mise en bouche d’un ouvrage que je me réjouissais de découvrir : d’une part parce que j’ai gardé un excellent souvenir de certaines œuvres de l’auteur (« Cet instant-là » et « La poursuite du bonheur ») et d’autre part parce que le thème, la question de l’avortement aux Etats-Unis, a une résonance particulière dans le contexte actuel.

    La première partie du livre m’a beaucoup intéressée. Le narrateur, Brendan, travaille en qualité de chauffeur Uber pour survivre et le lecteur plonge avec lui au coeur d’une Amérique sociale qui ne fait pas rêver : de longues heures de travail sous-payées qui vous permettent à peine de garder un toit au-dessus de votre tête et le mépris des clients qui d’une seule critique acerbe, justifiée ou non, peuvent vous faire perdre ce misérable gagne-pain.

    L’une de ses courses le place sur la route d’une enseignante retraitée qui accompagne les jeunes femmes aux prises avec une grossesse non désirée et aux portes d’une clinique qui pratique les avortements. C’est là que se réunissent les « pro-life », déterminés coûte que coûte à faire entendre leur voix.

    J’ai malheureusement été très déçue par la deuxième partie. Le roman s’éloigne de la chronique sociale pour prendre une tournure « thriller » ( ?) à laquelle je n’ai pas adhéré : manque de nuances, situations rocambolesques, personnages caricaturaux. Mon plaisir du début n’avait plus d’égal que ma hâte de le terminer…

    Une déception pour moi mais un roman qui trouvera son public et dont le sujet est d’une actualité brûlante. N’hésitez pas à vous faire votre propre opinion J Si vous ne connaissez pas l’auteur, je vous conseille pour ma part les deux romans susmentionnés, « La poursuite du bonheur » et « Cet instant-là. »

     

    Du même auteur:

    Cet instant-là


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  • Lucia«Mais ce mystère-ci était pour Lucia le plus grand, le plus incompréhensible de tous. Celui de la cruauté, du mal absolu.» ****

    Ce nouveau roman de Bernard Minier commence en force, avec la découverte par Lucia, membre de la Guardia Civil, du corps de son équipier crucifié sur un calvaire. Le ton est donné…

    L’auteur délaisse Martin Servaz et nous emmène cette fois en Espagne, dans la vieille ville de Salamanque et plus particulièrement au sein de son université. Un criminologue, Salomon Borges, y a sélectionné six de ses étudiants les plus brillants pour développer un logiciel qui pourrait révolutionner la criminologie : en se basant sur l’intelligence artificielle et les algorithmes, il établirait des rapports jusqu’alors passés inaperçus entre des meurtres en série. C’est ainsi que l’appareil détecte une étrange similarité entre trois doubles meurtres s’inspirant de tableaux de la Renaissance…

    « Lucia » est un roman sans temps mort dans lequel j’ai retrouvé la qualité d’écriture que j’apprécie chez Bernard Minier, peu fréquente chez les auteurs de romans policiers à mon humble avis. Le vocabulaire est riche, les descriptions et l’atmosphère très évocatrices et on ne peut s’empêcher de frissonner comme si on était dans les ruelles glauques de Salamanque. Par ailleurs, il utilise de nombreuses références culturelles qui donnent une réelle densité à l’ouvrage. J’imagine également qu’il adresse un petit clin d’œil à ses lecteurs en nommant ses personnages Borges, Lorca ou encore Ulysses Joyce…

    Ma seule (petite) réserve concerne le caractère hautement improbable de l’intrigue (c’est cependant souvent le cas dans les thrillers…). Mais si vous avez une bonne dose de « suspension of disbelief », vous passerez un très bon moment, avec notamment une conférence finale qui m’a un peu rappelé les révélations d’Hercule Poirot dans les énigmes d’Agatha Christie et une dernière phrase qui laisse espérer que nous retrouverons le personnage de Lucia.

    Un bon cru donc et un voyage très agréable dans les couloirs de l’une des plus anciennes universités d’Espagne.

     

    Je remercie le service presse de Bernard Minier pour l'envoi de ce roman en échange d'une critique honnête.

    Du même auteur :

    N'éteins pas la lumière

    M, le bord de l'abîme

    Soeurs

    Nuit


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  • Un été près du lac / The Lost GirlsUn été près du lac / The Lost Girls« Their history, Lucy’s story, had directed her life even though she’d known nothing about it. It was a legacy of loyalty and betrayal. Weakness and regret. Love, and tender, harrowing violence. » *****

     

    «Un été près du lac» («The Lost Girls») est une saga familiale s’étendant sur quatre générations. Deux récits s’entrecroisent : celui de Lucy, aujourd’hui décédée, qui a tenu à laisser un témoignage de ce qui s’est passé au cours de l’été 1935, et celui de Justine, sa petite-nièce, à qui elle vient de léguer sa maison de vacances au bord d’un lac du Minnesota. Cet héritage inattendu donne à Justine l’occasion de fuir San Diego et la relation étouffante dans laquelle elle s’enlise et elle décide de retourner avec ses filles dans cette maison où elle a passé un été lorsqu’elle était enfant. Une maison perdue dans la rudesse de l’hiver et toujours hantée par le souvenir d’Emily, la petite sœur de Lucy, mystérieusement disparue alors qu’elle n’était âgée que de six ans…

    En dépit de cet élément de mystère, ce livre est un roman d’atmosphère et non un thriller ou un roman policier : pas d’action trépidante ou de sensations fortes mais plutôt la description, souvent poétique, d’un lieu et d’une époque, ainsi que de beaux portraits de femmes. Le suspense est cependant bel et bien présent, les pièces du puzzle s’assemblent peu à peu et on ne peut qu’être profondément touché par la résolution de l’énigme…

    Un très beau roman en ce qui me concerne, qui m’a rappelé Kate Morton et Hannah Richell, et que je vous recommande vivement.

     

    Vous aimerez peut-être...

    Kate Morton, L'enfant du lac

    Kate Morton, Les heures lointaines

    Hannah Richell, Les secrets de Cloudesley


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  • Eux sur la photo« Son regard absent, retranché dans son erre invisible, est le symptôme poignant d’une détresse que rien ne saurait masquer ni éteindre. Cette fois, tous les efforts des sels d’argent, de la gélatine, des révélateurs et du papier sont inutiles. Malgré l’empreinte photonique qui lui fut dérobée un jour d’automne, cette femme, déjà, n’est plus là. » ****

    Hélène Hivert n’a aucun souvenir de sa mère biologique, décédée dans un accident de voiture alors qu’elle n’avait que trois ans. La découverte d’une photographie de Nathalie, entourée de deux hommes qu’Hélène ne connaît pas, l’incite à rédiger une petite annonce, seul espoir d’en savoir un peu plus sur celle qui lui a donné la vie et dont feu son père a toujours refusé de parler. Elle reçoit réponse d’un scientifique suisse, Stéphane, qui a reconnu son propre père sur la photo, et entame avec lui une correspondance étrangement intime et une quête de vérité, avec en guise de fil d’Ariane des photos et des écrits.

    Je ne savais pas à quoi m’attendre en lisant ce livre, découvert un peu par hasard, et j’ai été très agréablement surprise. L’intrigue n’a rien d’exceptionnel et pourtant, le lecteur se laisse happer par les découvertes successives des deux protagonistes, voyant (re)naître sous ses yeux les êtres du passé et s’absorbant dans leur histoire, leurs bonheurs et leurs drames. La description des photos retrouvées vient interrompre l’échange épistolaire et donne au récit un certain cachet, saisissant avec brio tantôt un paysage, tantôt un sentiment, et nourrissant ainsi l’imagination. J’ai par ailleurs beaucoup aimé le style littéraire de l’auteur, en particulier lorsqu’elle décrit les plages de Bretagne et qu’on admire, comme si on y était, « la lumière rase de février qui faisait onduler la mer comme cristal et feuille d’or »…

    Un très beau roman sur les secrets de famille, le poids du passé, les non-dits, les amours douloureuses et les vies manquées, avec pour (anti-)héros « eux sur la photo, qui nous parlaient, qui nous appelaient », ceux que l’on « contemple jusqu’au vertige ».


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  • Le gosse« Il faut faire de chaque désespoir une pirouette. Il faut s’amuser de la médiocrité du monde, survoler le grand merdier humain, c’est le seul moyen de s’en sortir. C’est la philosophie de Rhum, et il a raison, il faut planer au-dessus de la tristesse et la regarder du ciel, uniquement du ciel. » ****

    « Le gosse », c’est Joseph Vasseur, titi parisien né en 1919 et dont le destin bascule dès son plus jeune âge. Son père est emporté par la grippe espagnole au retour de la guerre et sa mère essaie tant bien que mal de subvenir à leurs besoins en travaillant en qualité de plumassière. Alors que Joseph n’a que sept ans, la tendre Colette meurt des suites d’un avortement clandestin, laissant orphelin celui qu’elle surnomme affectueusement « le roseau ».

    Joseph devient alors « pupille de la nation » et le lecteur découvre avec effarement ce que cela peut signifier en cette première partie du XXème siècle. Après moultes péripéties, l’enfant est envoyé à la colonie pénitentiaire de Mettray : l’enfer sur terre pour des petits dont l'unique tort est d’être seuls au monde.

    J’aurais aimé croire, tout au long de ma lecture, qu’il s’agissait d’une fiction romanesque, dramatisée pour les besoins de l’histoire. L’épilogue nous informe, hélas, que ce « bagne pour enfants » a bel et bien existé : les faits abjects qui s’y déroulaient ont été dénoncés en 1936 par le journaliste Alexis Danan sur la base de nombreux témoignages, entraînant la fermeture de l’établissement en 1937.

    Porté par une écriture de qualité, « Le gosse » est un drame social qui ne peut laisser indifférent, dénonçant sans concession la violence d’un système qui a broyé des milliers d’enfants, mais il est également porteur de résilience et d’espoir, laissant une place de choix à la tendresse, à la douceur et à la joie que la musique peut apporter dans une existence. Une belle découverte en ce qui me concerne et un roman que je vous recommande malgré la dureté de son sujet.


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