• La salle de balLes prémisses de l'horreur nazie *****

    Dans l’Angleterre du début du XXe siècle, il ne fallait pas grand-chose pour être enfermé à l’asile de Sharston : la jeune Ella Fay l’apprend à ses dépens, elle qui s’y retrouve pour avoir brisé une vitre de la filature où elle travaille depuis qu’elle est enfant. Peu à peu, le lecteur découvre la terrible réalité de cet endroit et le quotidien difficile de ceux et celles qui y travaillent  -les femmes n’ayant même pas accès à l’air libre-, leur existence adoucie seulement par ces soirées du vendredi où certains ont le privilège de venir à la somptueuse salle de bal. Les rencontres deviennent alors possibles et Ella y fait la connaissance de l’Irlandais John Mulligan, dont le douloureux passé l'a mené tout droit à Sharston.

    Mais loin d’être une romance bas de gamme, « La salle de bal » est une fiction historique qui nous ouvre les yeux sur une réalité hallucinante, vieille d’à peine un siècle. En effet, l’auteure s’inspire d’un endroit ayant réellement existé  -son arrière-arrière-grand-père y a été accueilli comme patient-  et elle s’appuie également sur des documents d’époque pour aborder le thème de l’eugénisme.

    Car le docteur Fuller, engagé à Sharston, n’est pas seulement un mélomane qui croit au pouvoir curatif de la musique pour ses patients : convaincu de la nécessité de sélectionner une race supérieure pour le bien de l’humanité (triste présage des décennies qui suivront), il réfléchit avec un peu trop d’enthousiasme à la meilleure solution possible (ségrégation ou stérilisation ?), les êtres humains lui confiés n’étant plus alors que des cobayes au service de son projet mégalomane qui semble intéresser Churchill lui-même.

    « La salle de bal » est un roman doux-amer sur une époque et un système dont les codes et les aveuglements nous font frémir, le couperet du verdict « faible d’esprit » tombant avec une facilité déconcertante. La femme est aisément qualifiée d’hystérique (la preuve étymologique irréfutable de cette propension étant bien sûr l’utérus) et si en plus elle aime les livres, elle est définitivement perdue : « Contrairement à la musique, il a été démontré que la lecture pratiquée avec excès était dangereuse pour l’esprit féminin. » (sic). Un diagnostic du docteur Fuller qui serait très drôle s’il n’était le reflet de préjugés et d’ignorances qui ont coûté cher en vies et libertés humaines.

    Une belle lecture à la fois dépaysante et instructive que je vous recommande.


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  • Les jours fragilesLes derniers jours du poète *****

    Il fallait allier sensibilité et talent littéraire pour oser consacrer un roman à l’immense Arthur Rimbaud et Philippe Besson ne pouvait dès lors faillir à la tâche.

    Il a choisi pour ce faire le parti-pris d’une période  -la fin de vie du jeune poète-  et d’une narratrice, Isabelle, sa sœur, aimante et dévouée jusqu’à l’atroce départ. A travers le récit d’Isabelle, le lecteur découvre le jeune homme scandaleux, la famille déchirée, la mère tellement froide qui même dans l’agonie ne lui pardonne pas ses errances, les souffrances physiques et psychologiques de l’homme amputé qui revient dans les Ardennes pour y mourir après avoir passé sa vie à les fuir. Isabelle la catholique restera fidèle jusqu’au bout, malgré les confidences parfois volontairement choquantes d’Arthur, parce que « on ne tourne pas le dos à un mourant » et tiendra un journal, pour « conserver la trace de ce qu’il fut, au moment de quitter ce monde ».

    Les admirateurs de Philippe Besson retrouveront dans ce court récit son empreinte, un langage soigné et une sensibilité à fleur de peau, au service de l’un des plus grands poètes de la littérature française. Il lui rend hommage avec une grande sobriété qui n’empêche pas l’émotion : malgré l’absence de fioritures, le lecteur perçoit sans mal les fulgurances du jeune poète mort à 37 ans seulement, ses souffrances, son besoin d’immensité, lui qui était « fait pour les grands espaces, pour les chevauchées » et qui, par une cruelle ironie du sort, se retrouvera immobilisé par la maladie.

    Une seule envie en refermant ce roman : se (re)plonger dans la poésie de Rimbaud, à la lumière de ces fragments de vie racontés dans « Les jours fragiles ». Une vie courte mais intense, ainsi évoquée par Isabelle:  «Il allait, crotté et misérable, ses poches étaient crevées mais il se prétendait le plus riche des hommes. Il allait, insouciant et léger, au hasard, il cherchait l’extase dans la fugue et, dans le même temps, portait des deuils écrasants, éblouissants. Il allait, guidé par des fulgurances, où nul autre n’était allé avant lui, et il flottait au-dessus des abîmes. Les mots lui venaient sans qu’il les commande <…> Que reste-t-il de tout cela ? Des cendres froides. »

     

    Du même auteur:

    Arrête avec tes mensonges

    Un homme accidentel

    Se résoudre aux adieux


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  • Insidious Intent

    Love Is in the Air ****

    "If Kathryn McCormick had known she had less than three weeks to live, she might have made more of an effort to enjoy Suzanne's wedding."

    Après « Splinter the Silence » en 2015, la reine écossaise du crime nous revient avec le dixième volet des aventures de Tony Hill et Carol Jordan.

    Carol est maintenant à la tête d’une unité d’élite, ReMIT, qu’elle a constituée en recourant aux meilleurs.  Mais aussi perspicaces soient-ils, ils semblent bien désarmés pour faire face à un tueur particulièrement retors, que ses connaissances médico-légales semblent mettre à l’abri de toute identification. Des victimes retrouvées carbonisées dans leur voiture, un lien tellement ténu avec leur meurtrier qu’il est difficile à établir de prime abord, un schéma psychologique (et psychopathique, n’ayons pas peur des mots smile) qui ne prend forme aux yeux de Tony Hill que grâce à la répétition des crimes… Un véritable écueil pour une « dream team » que ses détracteurs attendent au tournant. D’autant plus que Carol vit toujours avec les douloureuses séquelles de ses erreurs passées et que la journaliste Penny Burgess n’a pas l’intention de laisser passer un scoop de cette envergure…

    « Insidious Intent » est un roman policier du genre « serial killer » qui se focalise non pas sur l’identité du meurtrier  -que nous connaissons très vite-  mais plutôt sur la manière dont il pourra être confondu malgré la prudence dont il fait preuve. Rien de bien révolutionnaire mais le livre se lit avec grand plaisir et la fin est quant à elle audacieuse, au point que l’auteure elle-même demande de ne pas la spoiler. J’ai pu lire çà et là que cette fin était controversée voire peu imaginative mais personnellement, j’ai bien aimé l’effet de surprise et j’ai hâte de voir la suite qui lui sera réservée. Je pense qu’après dix romans mettant en scène les mêmes personnages (du genre torturés, en plus), le risque d’essoufflement est réel et que Mrs McDermid s’en sort plutôt bien en choisissant ce virage.

    Peut-être pas le meilleur McDermid (mais il faut dire qu'elle a placé la barre très haut) mais en tout cas suffisamment bien ficelé pour vous procurer un bon moment de détente... et vous faire passer toute envie d'assister seule à une fête de mariage arf


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  • Dans l'ombre de la clairièreCold Case *****

    Dans la clairière, un innocent a été pendu il y a une centaine d’années. A en croire la légende, son fantôme hante encore les lieux, gémissant lorsque le vent souffle, et plus aucun végétal ne poussera jamais dans cette partie du bois. Mais si des photos de la clairière maudite figurent dans le dossier de feu le shérif Almond, c’est en lien avec une autre affaire, plus récente : la mort de la jeune Amérindienne Kimi Kanasket, trop vite classée en suicide il y a quarante ans. Au décès de son père, Jenny Almond confie dès lors le dossier à son amie Tracy Crosswhite, désireuse de faire la lumière sur cette histoire sordide et de pouvoir offrir enfin l’apaisement à la famille de Kimi…

    Parallèlement à ce « cold case », Tracy enquête sur la mort de Tim Collins, opportunément abattu d’une balle dans le dos alors qu’il vivait un divorce difficile. La future ex-épouse et maintenant veuve de Tim Collins n’étant autre que la fille de l’avocat Atticus Berkshire, l’affaire s’annonce particulièrement délicate, d’autant plus que la version des faits présentée par la famille n’est guère satisfaisante…

    Troisième volet de la série des enquêtes de Tracy Crosswhite, « Dans l'ombre de la clairière » ("In the Clearing") est un très bon roman policier qui allie suspense et humanité. Tracy est une détective personnellement impliquée par la tragédie de son vécu, révélée dans « Le dernier repos de Sarah » (« My Sister’s Grave ») et a de ce fait beaucoup d’empathie pour les victimes et leurs proches. Par ailleurs, l’auteur évite les personnages manichéens et dresse un portrait nuancé des faiblesses et cruautés de chacun.

    La lecture est agréable et les derniers chapitres franchement palpitants, les deux mystères touchant peu à peu à leur résolution. Outre ce que j’ai mentionné ci-dessus quant à la sensibilité omniprésente, j’ai beaucoup apprécié le recours aux détails à première vue inaperçus qui permettent de dénouer l’écheveau et que n’auraient pas reniés Hercule Poirot ni l’inspecteur Columbo.

    Une série que je vous recommande vivement et dont je me réjouis de découvrir la suite, la bonne nouvelle étant que les deux suivants existent déjà en version originale et que Robert Dugoni est également l’auteur d’une autre série, mettant en scène David Sloane. De belles lectures en perspective... smile


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  • La fille dans le brouillardLe quatrième pouvoir ****

    « La fille dans le brouillard » est un roman qui diffère quelque peu des polars traditionnels, notamment « Le chuchoteur » du même auteur. Les ingrédients sont pourtant relativement classiques : dans un petit village de montagne, une jeune fille, Anna-Lou, disparaît peu avant Noël. Les jours passent, l’inquiétude croît, l’opinion publique demande un coupable. Qu’à cela ne tienne, le commissaire Vogel leur en trouvera un et si les preuves ne sont pas suffisantes, eh bien, il veillera à ce qu’elles le deviennent…

    La particularité de ce thriller tient probablement à l’absence de détails sanglants et à l’accent mis sur le rôle sombre des médias dans ce genre d’affaires. Le commandant Vogel est un homme sans scrupules, peu soucieux des conséquences de ses actes et du tort qu’il peut causer et qui n’hésite pas à utiliser et à manipuler les journalistes pour sa gloire personnelle. Le professeur Martini n’a pas d’alibi pour le jour de la disparition et le fait qu’il soit un enseignant respecté ne le protégera pas de l’acharnement de Vogel, qui tient là son coupable idéal.

    Si certains lecteurs de Donato Carrisi ont été déçus par ce changement de cap par rapport au « Chuchoteur », ce ne fut pas mon cas : un thriller ne doit pas nécessairement offrir des détails macabres ou des rebondissements à toutes les pages et si celui-ci commence en douceur, la fin est particulièrement intéressante et surprenante. Le suspense est en outre assuré par les ruptures temporelles, le récit oscillant entre les jours précédant la disparition et le présent,  « la nuit où tout changea pour toujours », deux mois plus tard.

     

    Une réflexion hélas réaliste sur notre société, prompte à clouer au pilori ceux qui lui sont désignés par les médias, et une lecture agréable qui fera sans nul doute un très bon film.


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