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    La vraie vie

    Prix du roman FNAC 2018.

    Prix Première Plume 2018.

    «On dit que le silence qui suit du Mozart, c’est encore du Mozart. On ne dit rien sur le silence qui suit un coup de feu.» *****

    Que dire alors de celui qui suit la lecture de ce livre ? Qu’il est encore empreint d’animalité et de violence, sans aucun doute, avec cependant des résonances plus tendres et l’image de l’espérance nichée au fond de la boîte de Pandore.

    «La vraie vie» nous emmène au sein d’une famille dysfonctionnelle  –bel exemple d’euphémisme. Chez ces gens-là, il y a tout d’abord le père, un chasseur assoiffé de sang qui a consacré une pièce de sa maison à ses trophées et qui aime varier les plaisirs puisque sa femme est un gibier de premier choix lorsqu’il s’agit d’assouvir ses instincts. La mère, ensuite, petite « amibe » éteinte, courbée sous le joug dudit mari et qui se console en donnant à ses chèvres un peu de la tendresse dont elle est privée. Gilles, le petit garçon, dont l’âme semble basculer dans l’ombre après un accident terrible dont il est témoin. Et surtout la narratrice, la grande sœur, celle qui aime Gilles «d’une tendresse de mère» et qui voudrait inventer une machine à remonter le temps pour quitter cette «branche ratée» de sa vie…

    «La vraie vie» est un récit âpre, qui parle de déchirement («mon adolescence lacérée»), des enfances malmenées («Ce bébé n’était pas encore né et il avait déjà généré chez sa mère des quantités d’amour plus importantes que ce que j’avais pu produire chez mes deux parents réunis en douze ans d’existence»), et de leur mélancolie indicible («De longues journées et de longues nuits mouillées, avec ce bruit de fond incessant, ce crépitement si triste qu’on aurait pu croire que la nature elle-même commençait à envisager le suicide.»). Il n’est cependant pas dépourvu de notes d'espoir, incarnées par une héroïne vive, attachante, courageuse, qui éveille chez le lecteur un mélange de tendresse, de rage et d’émerveillement quand la vie la met à terre et qu’elle tente de se relever.

    Une jeune auteure belge et un premier roman brut, très bien écrit, que l’on n’oublie assurément pas de sitôt et que je vous recommande.

     

    Du même auteur: 

    Reste


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  • Les fureurs invisibles du coeurLes fureurs invisibles du coeur« Long before we discovered that he had fathered two children by two different women, one in Drimoleague and one in Clonakilty, Father James Monroe stood on the altar of the Church of Our Lady, Star of the Sea, in the parish of Goleen, West Cork, and denounced my mother as a whore. » *****

     

    C’est ainsi que commence le formidable roman de John Boyne, « The Heart’s Invisible Furies » (« Les fureurs invisibles du cœur ») et le récit de son héros, Cyril Avery. Un jeune garçon marqué au fer rouge dès son plus jeune âge par ce qu’il est   –un enfant illégitime dont la toute jeune mère est expulsée de sa petite communauté rurale à cause de sa grossesse et de monsieur le curé– mais surtout par ce qu’il découvre de lui-même –son attirance pour les garçons, incarnée par son ami d’enfance Julian Woodbead.

    Car il ne fait pas bon être un homosexuel dans l’Irlande de l’après-guerre. Cyril naît en 1945 et nous le retrouvons à différentes étapes de sa vie, jusqu’en 2015 : un parcours douloureux, parfois violent, toujours émouvant, avec en guise de motif récurrent la quête profonde d’acceptation de soi. L’Irlande que John Boyne nous fait découvrir n’est pas celle des falaises somptueuses ni des grands espaces qui font rêver : sur ces terres qui devraient parler de liberté, nous découvrons une population qui, par un cruel contraste, se trouve sous la coupe d’une Eglise terrifiante par son intolérance et ses jugements sans appel.

    L’Irlande n’est hélas pas la seule concernée par cette homophobie assumée et même revendiquée : que ce soit à Amsterdam ou à New York, les décennies suivantes ne seront guère plus douces et l’épidémie de SIDA sera prétexte à d’autres ostracismes.

    Oserai-je dire sans passer pour une sociopathe que j’ai ri en lisant ce roman ? Eh bien oui, sans hésitation… Car si j’ai eu les larmes aux yeux et la rage au cœur plus d’une fois, je me suis aussi régalée à la lecture de nombreux dialogues et situations cocasses. Si John Boyne lève le voile sur des réalités effroyables, il nous présente aussi une galerie de personnages savoureux: l’horrible Mary-Margaret Muffet, première tentative de Cyril de se réconcilier avec la gent féminine, les parents adoptifs Charles et Maude Avery, dont on ne sait pas très bien pourquoi ils ont voulu un enfant, ou encore Julian Woodbead, l’objet des fantasmes de Cyril mais qui malheureusement, comme dans la chanson d’Aznavour, passe le plus clair de son temps au lit des femmes…

    Le style de John Boyne est en outre à la fois fluide et brillant, avec çà et là, comme sorties de nulle part, des phrases ou des images qui frappent par leur justesse ou leur beauté. Quelques exemples parmi des dizaines :

    « I remember a friend of mine once telling me that we hate what we fear in ourselves » 

    “A line came into my mind, something that Hannah Arendt once said about the poet Auden: that life had manifested the heart's invisible furies on his face.”

    “I wished that I could simply spread my arms and take flight, soar above them and look down on the lake before ascending into the clouds like Icarus, happy to be scorched by the sun and disintegrate into nothingness.”

    Un livre qui à la fois tragique et émouvant, chaleureux et glaçant, que je vous recommande vivement et qui figurera sans nul doute parmi mes meilleures lectures de 2018.


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