• Les fantômes de Manhattan / GhostheartLes fantômes de Manhattan / Ghostheart Parution le 7 juin 2018 aux éditions Sonatine

    “There are these moments <…> when everything you have done, everything you believe you’ve worked towards comes to nothing. How shallow can it all be? How many lives are spent waiting for something to happen, only to end with nothing happening at all? There must be a hundred million people out there feeling what I’m feeling now. Hollow. Inconsequential.” *****

    Annie O’Neill est une jeune femme discrète et solitaire, qui voue une passion sans bornes aux livres, « with their totality of words, with their myriad silent voices, with the pictures that each paragraph and sentence, each phrase and clause inspired.” Elle mène une vie tranquille dans sa petite oasis, « The Reader’s Rest », la librairie qu’elle gère en plein cœur de Manhattan, jusqu’à ce qu’elle reçoive la visite de deux hommes, presque simultanément : le séduisant David Quinn, à qui elle osera ouvrir une part de son cœur fantôme, et un certain Robert Forrester. L’homme a bien connu feu les parents d’Annie  –mieux qu’elle-même, semble-t-il–, au point d’être en possession de lettres écrites par le père d’Annie à sa mère. Il lui remet également les premières pages d’un mystérieux manuscrit, dont il souhaite discuter lors de ses prochaines visites.

    Le manuscrit raconte la vie d’un certain Harry Rose et à travers son existence mouvementée, le lecteur feuillette quelques pages sanglantes de l’Histoire : les années d’enfance à Auschwitz, l’ultra violence des gangs des années soixante. Annie est captivée par cette histoire et ne tarde pas à comprendre qu’elle a des résonances dans le présent…

    Roman d’atmosphère et tragédie mêlant revanche et trahisons, « Ghostheart » est une réussite à tous points de vue : le style est brillant, les personnages complexes, l’histoire intéressante et émouvante. Ellory a réussi à écrire un roman noir, brutal par moments, mais dans lequel les sentiments sont très vivaces: l'amour filial, la solitude, les promesses de silence tenues, l'amitié, l'amour et ses violences diverses. En filigrane du récit, les fantômes de Manhattan, ces êtres dans lesquels nous reconnaissons des fragments de nous-mêmes : « Here were the lost and confused, the haunted and the broken, the loveless, the pained, the angry and exhausted. Here were the black and the white and every shade of grey between. The beginnings and the ends of humanity. The circle.”

    Un grand roman, que je viens de lire pour la seconde fois avec toujours autant de plaisir et que je vous recommande vivement.

    Du même auteur:

    Papillon de nuit

    Un coeur sombre

    Seul le silence

    Les anges de New York

    Mockingbird Songs

    Une saison pour les ombres


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    Un garçon d'Italie« J’aurais dû contempler ce visage jusqu’à la fin du monde, le monde est encore là et lui n’y est plus. J’ai eu cette pensée toute simple, que je ne sais pas énoncer autrement qu’avec des mots simples. La tristesse parfois est une régression. » ****

    Ce visage est celui de Luca, mort noyé dans les eaux de l’Arno. Celle qui nous parle de ce visage, c’est Anna, sa compagne depuis plusieurs années, alors qu’elle tente de faire face à l’absence, s’interrogeant sur tous ces moments, et surtout ces dernières minutes, que l’on n’a pas passés avec la personne aimée : « Comment ai-je admis de ne pas le contempler, le toucher, alors que je savais qu’il me serait soustrait pour l’éternité ? » A la souffrance du deuil s’ajoute bientôt celle du questionnement : lorsqu’elle se rend dans l’appartement de Luca, un nom inconnu sur la page d’un livre lui fait entrevoir un ailleurs qu’il avait gardé secret.

    Le récit d’Anna est interrompu par un deuxième narrateur, d’un autre monde cette fois : Luca, qui nous raconte la morgue, puis la descente sous la terre, l’obscurité froide, la dernière rose qui vient l’y accompagner alors que l’automne tombe sur Florence. Luca nous parle aussi de son amour pour Anna, celle qui a accepté qu’il garde son indépendance et même qu’il soit supporter de la Fiorentina mais à qui il n'a pourtant pu révéler une part essentielle de lui-même.

    Comme les affections sont rarement simples chez Philippe Besson, une troisième voix vient s’ajouter au récit : celle de Leo, jeune prostitué de la gare, « celui qu’on cache, celui qui est interdit de paraître », à qui Luca faisait l’amour sans jamais être son client. Leo n’a pas eu de place officielle dans la vie de Luca –il ne l’a d’ailleurs jamais discuté, acceptant d’être « ailleurs »– et pourtant, son chagrin transparaît tout aussi sûrement que celui d’Anna : « Le David de marbre n’est qu’une copie mais son regard distrait, jeté de son piédestal, et son bras replié comme un symbole de la grâce suffisent à me faire frémir. Il me faut ces moments, qui sont des moments d’éternité, pour ne pas crier. »

    Trois voix qui se mélangent harmonieusement pour un roman court et empreint de mélancolie, où l’on retrouve toute l’élégance littéraire de Philippe Besson et sa finesse dans l’analyse de sentiments complexes.

     

    Du même auteur: 

    Son frère

    Arrête avec tes mensonges

    Les jours fragiles

    Se résoudre aux adieux

    Un homme accidentel

     


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  • Le tatoueur d'Auschwitz
    “They arrive at the gates into Auschwitz and Lale looks up at the words emblazoned above: ARBEIT MACHT FREI. He silently curses whatever god may be listening.” *****

    Parution en français le 16 mai 2018 (City Editions)

    Si comme le titre l’indique, “Le tatoueur d’Auschwitz” fait partie de ces romans qui nous ramènent à l’un des pires moments de l’histoire de l’humanité, il est d’autant plus émouvant qu’il est basé sur une histoire vraie, celle de Lale Solokov. A travers le récit sobre de Heather Morris, c’est la voix de Lale qui nous interpelle pour nous partager son vécu, mélange d’horreur, d’amour et d’espérance.

    Lorsque Lale arrive à Auschwitz en 1942, il est bien loin de se douter des atrocités qu’il va découvrir. Dans son malheur, il a la « chance » d’être distingué des autres prisonniers, notamment grâce à sa connaissance des langues, et se voit désigner comme « Tätowierer », le tatoueur : c’est lui qui sera chargé de « marquer » les prisonniers déchargés dans le camp comme du bétail.

    Au risque d’être considéré comme un collaborateur, Lale accepte ce rôle, parce qu’il lui permet de survivre, et que survivre, c’est la seule façon de vaincre un peu l’ennemi. Il peut également tenter de faire avec le plus de douceur possible un travail qui sera de toute façon accompli par quelqu’un (« If you don’t take the job, someone with less soul than you will, and hurt these people more ») et qui lui procure quelques avantages, notamment des rations supplémentaires qu’il partage avec les moins bien lotis.

    Au milieu des horreurs et brutalités quotidiennes que nous découvrons avec lui, un miracle cependant : son coup de foudre pour l’une des prisonnières, Gita. Ils n’auront dès lors de cesse de voler quelques moments pour se retrouver, en attendant de pouvoir réaliser leur rêve de faire l’amour où et quand ils le veulent…

    « Le tatoueur d’Auschwitz » est évidemment un récit très dur, au cours duquel le lecteur se demande  – une fois de plus – comment l’homme a pu en arriver là, mais non dénué d’espérance : malgré la barbarie, le quotidien est émaillé çà et là de petits héroïsmes, de courages surprenants, de tendresses inattendues, et surtout de cet amour qui suffit à donner la volonté de survivre malgré l'enfer. «If you wake up in the morning, it is a good day. »

    Les dernières parties, notamment l’épilogue et la note de l’auteure, sont particulièrement émouvantes puisqu’elles nous rappellent que les personnages dont nous venons de partager le destin ont été des êtres de chair et de sang, pour lesquels la mémoire et l’histoire ne faisaient qu’un : « There was no parting of memory and history for this beautiful old man – they waltzed perfectly un step. »

     

    Sur des thèmes similaires:

    Olivier Guez, La disparition de Josef Mengele 

    Sébastien Spitzer, Ces rêves qu'on piétine

    Johana Gustawsson, Block 46 

     

     


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  • Une vie« En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre ». *****

    Elle, c’est Jeanne, jeune fille de bonne famille que nous rencontrons alors qu’elle sort du couvent dans lequel elle a été cloîtrée durant son adolescence. Elle en sort sans rien savoir du monde, pleine d’enthousiasme à l’idée de la vie qui l’attend enfin.

    Mais dans la Normandie du 19ème siècle, le sort des femmes est peu enviable («n’oublie point ceci, que tu appartiens tout entière à ton mari »... urgh ☹️) et ledit mari est de ceux qui donnent envie de faire vœu de chasteté pour le reste de ses jours. Car si Julien de Lamare semble gentil de prime abord, il ne tarde pas à perdre son « vernis et son élégance de fiancé » et à montrer son vrai visage : rustre, avare, volage…  au point que Jeanne en vient rapidement à considérer le mariage comme un « trou ouvert sous vos pas ».

    Heureusement, il y a la maternité, dans laquelle Jeanne croit pouvoir s’épanouir. Mais là aussi, les scénarios de son imaginaire correspondent bien peu à la réalité et sa vie de mère sera elle aussi placée sous le sceau du désenchantement…

    « Une vie » est un roman imprégné de tristesse, la vie de Jeanne étant prétexte à des réflexions sur la solitude et la tristesse vécues ici-bas : « deux personnes ne se pénètrent jamais jusqu’à l’âme, <…>, l’être moral de chacun de nous reste éternellement seul pour la vie. » ou encore « Elle regardait <…> cette radieuse éclosion du jour, se demandant s’il était possible que, sur cette terre où se levaient de pareilles aurores, il n’y eût ni joie ni bonheur. ».

    A ne pas lire les soirs de déprime, donc (même si l’auteur tente de glisser une petite note d’espoir vers la fin, sans doute assailli par le remords), mais à savourer si vous aimez la belle littérature française et l’atmosphère de la campagne normande : le style est magnifique et la nature décrite avec sensibilité et poésie, que ce soient les traînées grises de pluie, le givre hivernal ou la mer qui attendait « l’amant de feu qui descendait vers elle ». Un voyage doux-amer dans une autre vie et un classique à (re)découvrir.

     

     

     

     


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