• Excellent thriller psychologique dans la tradition rendellienne *****

    Après deux romans, dont l’excellent début « The Missing One », Lucy Atkins nous revient avec un roman très prenant dans la lignée des meilleurs romans de Ruth Rendell, à tel point que l’on aurait pu me faire croire aisément que c’était Mrs Rendell elle-même qui nous laissait une œuvre posthume.

    Si je vous dis que « The Night Visitor » est le récit d’une confrontation entre deux femmes avec pour motif récurrent la fascination pour les scarabées, je doute, à juste titre, de votre enthousiasme. Alors que « The Missing One » nous emmenait dans l’univers fascinant des orques, le monde des insectes est certes nettement moins poétique et romanesque. Mais comme l’annonce l’auteur par une citation introductive, « the Creator, if He exists, must have an inordinate fondness for beetles”, et une seconde citation en début d’ouvrage est révélatrice de ce qui suivra : « But what will not ambition and revenge descend to ? » (John Milton, Paradise Lost).

    Ce sont en effet les thèmes de l'ambition et de la vengeance qui constitueront la trame de ce roman psychologique. La scène d’ouverture est de bon augure : Olivia Sweetman, historienne et auteur à succès, se voit honorée lors d’une cérémonie au Collège Royal de Chirurgie à Londres à l’occasion de la publication de son livre « Annabel ». Annabel Burley est connue pour avoir été une des premières chirurgiennes à l’époque victorienne, alors que les femmes étaient reléguées au second plan, mais son journal intime contient des révélations sur sa vie privée qui font d’elle le sujet idéal d’un best-seller de vulgarisation historique.

    Dès les premières pages, le malaise d’Olivia est palpable et en contradiction avec les honneurs dont elle fait l’objet. A l’origine de ce trouble, une femme : Vivian Tester, sexagénaire, qui assure la gestion d’Ileford Manor en l’absence de sa propriétaire, Lady Burley, et qui a remis à Olivia le journal sur lequel se base son livre. Un flash-back nous racontera ces quelques mois au cours desquels toute la vie d’Olivia basculera de l’harmonie au cauchemar, tant sur le plan privé que professionnel…

    «The Night Visitor» n’est pas un roman trépidant avec des rebondissements et des meurtres à chaque page. Le suspense, pourtant bien réel, provient de la tension croissante entre les deux principales protagonistes, Olivia et Vivian, chacune avec ses secrets, ses forces et ses faiblesses, et de la révélation progressive des agissements de l’une et de l’autre. Il s’agit d’un roman psychologique très réussi à mon sens car les personnages sont nuancés, la vision n’est pas manichéenne et par ailleurs, Lucy Atkins évoque la difficulté des femmes à être crédibles aux yeux de la communauté scientifique masculine.  Ma seule (petite) réserve concerne un incident se déroulant en France, qui n’est pas vraiment expliqué au final et dont je ne perçois pas le rôle dans l’ensemble, ainsi que la fin arrivée un peu trop abruptement à mon goût, mais ceci ne change rien à la qualité globale du roman.

    Quant à la présence à tout le moins incongrue de scarabées dans un roman psychologique, elle peut s’expliquer ainsi : « Some attack, some scuttle to safety, others spin in bewildered, panicky circles ; some play dead, sticking their legs out as if in rigor mortis ; some squeak in fear and others bury themselves deeper into their pile of dung. People aren’t so different, really. We all have different ways of coping when under attack”.

     

    Un excellent thriller psychologique qui plaira incontestablement aux fans de feu Ruth Rendell alias Barbara Vine. 

    Du même auteur: The Missing One


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  • Récidive

    Un polar qui fleure bon la côte bretonne *****

    A force de voir défiler « Récidive » dans les groupes de lecture, accompagné de commentaires très positifs, j’ai cédé à la curiosité et j’ai donc entamé ce troisième roman de Sonja Delzongle, auteur que je ne connaissais pas, avec l’éventualité que je lèverais les yeux au ciel après quelques pages en me demandant comment on pouvait appeler cela de la littérature et en me sentant fort seule  -cela m’est déjà arrivé, je ne citerai pas de noms smile

    Tel ne fut pas le cas ici et « Récidive » a été une très agréable surprise. Ce roman noir met en scène la profileuse Hanah Baxter, un personnage attachant fragilisé par le drame terrible qu’elle a vécu enfant : son père, Erwan Kardec, a tué sa mère à mains nues. Le crime aurait été parfait si quelques années plus tard, Hanah ne s’était décidée à témoigner contre son père, envoyant ce dernier derrière les barreaux pour trente ans. Mais l’état de santé d’Erwan Kardec lui permet d’obtenir une libération anticipée et il revient à Saint-Malo consumé par la haine envers celle qui lui a volé vingt-cinq ans de sa vie, le désir de se venger comme seule raison de vivre. Hanah exerce quant à elle son métier de profileuse à New York et l’annonce de la libération de son père l’angoisse, d’autant plus qu’elle reçoit d’étranges coups de fil anonymes…

    Sur cette trame relativement classique qui évolue inexorablement vers une confrontation père-fille, Sonja Delzongle a construit un roman riche en atmosphère et en rebondissements, d’autres histoires venant se greffer sur l’intrigue principale  -un condamné dans le couloir de la mort, une mystérieuse blessure d’enfance de Hanah qui ne se manifeste que maintenant, la disparition d’une famille britannique. Le récit d’un naufrage, en 1905, au large des côtes de Saint-Malo, campe d’emblée la mer comme motif récurrent et les premières pages sont à la fois captivantes et tragiques, voire poétiques : «L’aube se lève enfin sur une mer calme et neuve, dans l’indifférence d’un soleil pâlot, comme si rien ne s’était passé. Une bruine froide balaie les rochers où s’accrochent encore les restes de l’épave déchiquetée. Joyce fixe le ciel de ses yeux grand ouverts que recouvre une fine membrane blanche, son visage a pris les teintes grisâtres de l’eau devenue son linceul. Le petit corps flotte à la surface, tel un tronc mort. Non loin, le cadavre de sa mère et celui de son frère dérivent en silence. »

    Le rapport entre ce naufrage vieux de plus d’un siècle et le présent sera progressivement révélé, tout comme d’autres événements inexpliqués de différentes époques. Sonja Delzongle nous fait voyager des « étoiles <…> trompeuses, envoûtantes et vides » de Big Apple à la côte bretonne battue par les vents, au fil d’un récit policier qui a le mérite de soulever, outre les thèmes habituels de la vengeance ou de la cupidité, d’autres plus délicats tels l’homophobie ou les déchirures de l’enfance. Une vraie réussite et un auteur à suivre.


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  • De l'humilité à la honte, une réflexion morale passionnante *****

    « Antispéciste »  est un livre que l’on referme avec un sentiment d’urgence, celui de tout effacer et de remettre sur pied une société à l’agonie, malade de sa vacuité et de son anthropocentrisme. Le titre et la personnalité médiatique de l’auteur pourraient laisser penser qu’il s’agit d’un plaidoyer pour les animaux mais ceci n’est que partiellement vrai, tant l’ouvrage va au-delà de cet aspect. Il a le mérite d’allier sensibilité, réflexion d’ordre intellectuel, philosophie morale et projet politique, servi en cela par un discours clair, intelligible et intelligent, sans fioritures.  

    Ce livre peut être qualifié de révolutionnaire en ce sens qu’il bouscule les idées reçues auxquelles nous avons été biberonnés depuis toujours et dont nous ne sommes même plus conscients qu’elles nous ont été imposées. Il engendre un changement de perspective aussi radical que le fut la révolution copernicienne, grâce à une analyse qui ne peut qu’interpeller à défaut hélas de convaincre tout le monde.

    Aymeric Caron a parfaitement saisi et exprimé, pour les avoir éprouvées, l’indignation et la douleur des amis des animaux, peu compréhensibles pour certains. A propos de la mort du lion Cecil et des massacres de dauphins aux îles Féroé, il écrit ceci : « La flèche qui a transpercé les muscles de Cecil nous a frappés au cœur, et les lames qui découpent la chair des cétacés s’enfoncent dans notre peau. Nous sentons les couteaux qui sanctionnent nos nerfs. La détresse de ces animaux est la nôtre. Nous ne voyons pas les cadavres d’anonymes représentants de l’espèce « dauphins » et de l’espèce « lion ». Non, nous nous émouvons devant des mamans et des bébés massacrés, nous rendons hommage à un chef de tribu assassiné ».

    Outre cette profonde compassion à laquelle on pouvait s’attendre, «Antispéciste» suscite une réflexion d’ordre moral et intellectuel passionnante,  illustrée notamment par le célèbre et fascinant dilemme du tramway. L’ouvrage est d’une grande richesse, aidé en cela par des références à de grandes figures connues ou moins connues, que ce soient Schopenauer, Théodore Monod, Henry David Thoreau ou encore Elisée Reclus, suscitant ainsi l’envie d’en savoir plus et de lire ces auteurs.

    Le contenu est trop dense pour être résumé aisément et je me bornerai dès lors à partager  quelques réflexions qui m’ont paru essentielles :  le parallélisme entre le spécisme (discrimination à l’égard des autres espèces sans justification, du seul fait qu’elles ne sont pas la nôtre) et d’autres injustices profondes tels le racisme ou l’esclavagisme, les chiffres terrifiants de l’exploitation animale sous toutes ses formes, une réflexion sur l’absurdité d’une société qui porte aux nues ses dieux du stade, une dénonciation du consumérisme excessif (« Les biens que l’on achète, dès lors qu’ils ne répondent pas à des besoins essentiels, ont surtout deux fonctions : nous faire exister socialement, et nous consoler du vide de notre quotidien. ») ou encore la critique d’un système capitaliste servi par des « politicards inintéressants » et qui broie tant les hommes que les animaux non humains, courant ainsi aussi sûrement à sa perte que la civilisation de l’île de Pâques.

    «Antispéciste» nous fait osciller entre la honte de ce que nous infligeons (directement ou par nos comportements de consommateurs) et l’humilité de nous souvenir qu’indépendamment de notre arrogance et de notre « propre importance imaginée » (Carl Sagan), nous ne sommes dans l’univers qu’un « point bleu pâle ». Face au terrifiant constat d’échec de notre système (« Notre monde crève d’un sérieux d’autant plus pathétique qu’il fait semblant de croire à la solennité qu’il s’est inventée »), Aymeric Caron propose un bouleversement radical mais plein de bon sens de notre (dys)fonctionnement, avec en ligne de mire la seule chose qui vaille la peine : par l’intelligence du cœur, la réconciliation de l’homme, de l’animal et de la nature. Car après tout, « l’humanité ne s’est embellie qu’au rythme des révoltés »

    Un ouvrage d’une grande richesse morale et didactique, qui satisfera tant la curiosité intellectuelle que la sensibilité blessée et que je vous recommande vivement.

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  • Un roman à la fois drôle, tendre et émouvant ****

    J’ai découvert Virginie Grimaldi grâce aux groupes de lecture sur Facebook, où cet auteur faisait souvent l’objet de commentaires élogieux. J’ai abordé son nouveau roman, « Le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie », sans avoir lu les deux premiers et sans a priori particulier, si ce n’est la crainte de me perdre dans un récit mélodramatique émaillé de clichés.

    Le point de départ du récit aurait en effet pu donner lieu à des débordements larmoyants (et j'ai horreur de celaarf) : Ben vient de mettre un terme à son mariage avec Pauline et cette dernière, ne parvenant pas à faire face à la réalité, décide de lui écrire chaque jour un souvenir de leur histoire commune, espérant ainsi ranimer la flamme et le reconquérir. "Ne me quitte pas", c'est très joli lorsque le poète parle de terres brûlées et de ciel qui flamboie mais cela peut vite devenir horripilant sous une plume moins subtile. Tel n'est pas le cas, rassurez-vous smile

    Pauline est retournée chez ses parents avec son petit garçon, Jules, et les circonstances la conduiront à Arcachon pour des vacances familiales, dans la grande maison qui la faisait rêver lorsqu’elle était petite fille et qui appartient désormais à sa sœur à la vie si parfaite. Le lecteur découvre alors le reste de la famille, savoureuse galerie de portraits qui permet à Virginie Grimaldi d’aborder de multiples thèmes (la séparation, les relations familiales, l’alcoolisme, le deuil, le couple, l’homosexualité), les failles secrètes de chacun se dévoilant peu à peu au détour d’une anecdote, d’une conversation, d’un écrit. Le récit alterne la vie actuelle de Pauline et les souvenirs qu’elle envoie à Ben, par lesquels elle lève peu à peu le voile sur leur passé commun et leur amour.

    J’ai beaucoup aimé ce livre car l’auteur a réussi à me faire rire et à m’émouvoir en même temps, ce qui relève du parcours du funambule. L’écriture de Virginie Grimaldi est fluide, vive et enjouée et elle aborde des thèmes universels d’un ton tantôt grave, tantôt léger mais sans jamais verser dans le pathos. Elle nous fait passer du sourire à la tristesse sans transition, au fil d’un roman très plaisant où l’on ne s’ennuie pas un seul instant et dont le joli message pourrait être : « ce n’est pas parce que ça ne finit pas comme on le veut que ça finit mal ».

     

    Un roman plein de tendresse et de fraîcheur, dans lequel chacune se reconnaîtra à un moment ou l’autre de sa vie (je pense en effet qu’il s’agit d’un roman de femme pour un lectorat féminin) et qui plaira sans nul doute aux fans d’Agnès Ledig. A découvrir smile

     

     

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    Et que ne durent que les moments doux

     


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  • Into the WaterCeci n'est pas "La fille du train"... et c'est très bien ainsi ****

    Il était difficile de présenter un nouveau roman après le succès phénoménal de « The Girl on the Train », la comparaison s’avérant inévitable, mais Paula Hawkins a relevé le défi en nous proposant un second thriller réussi, bien que différent du premier.

    « Into the Water » est une histoire à facettes multiples, le point commun des différents récits étant « the Drowning Pool », cet endroit où la rivière est devenue piège mortel pour de nombreuses femmes au fil des siècles. Lieu de suicide ou endroit commode pour se débarrasser de celles qui dérangent, tel est le mystère qui n’a jamais été vraiment résolu et sur lequel a décidé d’enquêter Nel Abbott. Mal lui en prit car la rivière ne fut pas plus indulgente envers elle qu’envers Libby, trois cents ans auparavant, ou encore envers la jeune Katie bien plus récemment…

    L’histoire en elle-même est un « whodunnit » assez classique, l’alternance des perspectives d’une dizaine de personnages en faisant un puzzle fragmenté. Certains lecteurs se sont plaints de la confusion engendrée mais personnellement, cela ne m’a guère dérangée : le nom du narrateur figure clairement en tête de chaque chapitre et il suffit de quelques secondes pour se remémorer de qui il s’agit et quel est son rôle dans l’histoire. Ainsi que l’indique le titre, l’eau est un motif récurrent tout au long de l’histoire, les noyades tragiques émaillant le récit et chacune étant porteuse d’une histoire de femme.

    Le roman aborde de nombreux thèmes, à la fois banals, universels et émouvants: la violence conjugale, l’infidélité ou encore le regard impitoyable de la société sur les mœurs qui ne se conforment pas à ses prescrits.  Mon seul regret est que les personnages et leurs destins, du fait de la multiplicité, ne soient pas vraiment approfondis et je ne peux m’empêcher de penser que cette même trame, sous la plume d’Erin Kelly ou de Kate Morton par exemple, aurait donné une œuvre littéraire plus forte.

     

    Cela étant, il s’agit d’un bon roman policier à énigmes, servi à la fois par une atmosphère particulière et les fausses pistes et rebondissements de rigueur, ce qui en fait un agréable moment de lecture.


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