• Quand tu écouteras cette chanson«L’histoire des juifs d’Europe centrale, je m’en suis écartée à l’adolescence. J’ai tourné le dos à l’abîme. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. Leurs cauchemars ne seraient pas les miens.» *****

    C’est pourtant le Musée Anne Frank d’Amsterdam que Lola Lafon, qui a « tourné le dos à l’abîme » de sa propre histoire, a choisi pour passer une nuit dans le cadre de la collection Ma nuit au musée. Elle fait revivre, le temps d’un livre, la petite fille de l’Annexe et son destin tragique, avec infiniment de respect et de décence. « Anne Frank, que tout le monde connaît tant qu’il n’en sait pas grand-chose. »

    J’ai été très touchée par ce livre : par son sujet, bien sûr, qui ne peut laisser indifférent, mais également par l’angle particulier sous lequel il a été traité. Si l’auteure rappelle les faits et le contexte du Journal, elle décrit aussi, avec beaucoup de justesse et sans pathos, les sentiments éprouvants qui l’habitent alors qu’elle erre dans les quelques mètres carrés qui ont servi de cadre de vie à huit personnes pendant deux ans. Sa plume ne fait pas seulement revivre Anne mais également Margot, la grande sœur de l’ombre, dont on n’a jamais retrouvé le journal, et au final, c’est sa propre histoire qui vient faire écho à la tragédie de la famille Frank…

    Je ne peux que vous recommander vivement cette lecture et je termine par un passage que j’ai beaucoup aimé :

    « Je suis restée face à elle, longtemps. Tout était trop grand. Le Musée était trop vaste, la photo trop large, la nuit trop longue, désolée. Elle y était si seule et trop petite, une seule syllabe, Anne. »


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    S'adapter

    Prix Fémina 2021

    Goncourt des Lycéens 2021

    « Nous, les pierres rousses de la cour, qui faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants. C’est eux que nous souhaitons raconter. Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vies. Depuis des millénaires, nous sommes les témoins. Les enfants sont toujours les oubliés d’une histoire. » *****

    Les pierres racontent… Elles racontent les enfants d’une fratrie, l’aîné, la cadette et le dernier, dont les vies sont marquées à jamais par l’arrivée dans la famille d’un petit garçon différent, « inadapté ». Un enfant dont on se rend compte très vite qu’il ne verra pas, qu’il ne marchera pas, qu’il ne parlera pas, et que son espérance de vie sera très courte.

    Les pierres donnent tour à tour la parole à chacun d’eux, dans un récit choral bouleversant. L’aîné, qui s’attache profondément à l’enfant mais qui « a rejoint ces êtres qui portent au cœur un instant arrêté, suspendu pour toujours ». La cadette, forte de sa colère et de sa révolte, qui choisit d’ignorer ce frère qui lui a volé ses parents et son aîné et qui n’a d’autre choix que de s’adapter (« Il fallait s’adapter comme on épouse les contours d’une guerre. Elle apprit les trêves et les offensives. »). Le dernier, qui n’a pas connu l’enfant et doit apprendre à vivre avec une histoire qui l’a précédé et avec les questions qu’il n’ose pas poser.

    En filigrane, les parents et tout ce que l’on devine : l’épuisement face aux lourdeurs administratives, le courage, la patience, la douleur. « Ils s’asseyaient sur le pont, au-dessus de la rivière, les mains enlacées, à la fois seuls et ensemble. » Et en toile de fond poétique et merveilleuse, les Cévennes : la montagne impassible, violente parfois, ses animaux, ses couleurs, ses sons, ses parfums.

    « S’adapter » est un livre court mais percutant, qui traite d’un sujet difficile avec beaucoup de pudeur, de tendresse et d’humanité, en se focalisant sur les conséquences d’un handicap grave pour les frères et sœurs de l’enfant, ces « bien portants <qui> ne font pas de bruit, s’adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s’offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer. » Il est en outre servi par une très belle écriture et un vocabulaire riche (ce n’est hélas plus si fréquent et mérite d’être souligné) qui en font une vraie œuvre littéraire et non un « simple » témoignage de vie. Un coup de cœur en ce qui me concerne.  

     


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    Un bonbon sur la langue Une délicieuse gourmandise *****

    Correctrice au journal « Le Monde », Muriel Gilbert a rassemblé dans ce savoureux ouvrage les chroniques qu’elle rédige pour RTL. Dans un style vif et enjoué, elle y traque les multiples curiosités de notre belle langue française et aborde des sujets aussi variés qu’intéressants.

    Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre en entamant le livre et j’ai été agréablement surprise par cette lecture aussi agréable qu’instructive. Elle y aborde certains points « classiques » tel l’accord du participe passé (ne fuyez pas, ce n’est jamais rébarbatif, contrairement à ce que l’on pourrait penser… smile) mais également des informations plus originales. Vous y apprendrez notamment le point commun entre amour, délice et orgue, vous n’oublierez plus le genre d’anagramme et d’astérisque et vous serez surpris d’apprendre que Van Gogh et Marylin Monroe sont désignés d’une manière tout à fait particulière dans la langue des signes (Gérard Majax a peut-être son propre signe maintenant wink2). Enfin, si le général de Gaulle portait un aptonyme, le malheureux chevalier de La Crotte n’a pas eu cette chance et a probablement été effacé des manuels d’histoire à cause de ce triste patronyme… 

    Des chapitres courts que l’on déguste à son rythme et qui nous donnent l’impression agréable d’être un peu plus cultivés… Par les temps qui courent, ce n’est pas superflu sarcastic

     


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  • « Deux étrangers à l’abri du soleil, protégés par des arbres nourris d’une autre terre, d’un autre air que ceux de nos origines. Ensemble, nous écoutons en silence le bruissement du vent dans les feuillages. Ici, loin de chez nous, la nature nous apaise. » ***

    Ces deux étrangers, ce sont eux, « les exilés » qui auraient pu ne jamais se rencontrer. Ibrahim, adolescent guinéen de quinze ans à peine, a quitté son Afrique natale dans l’espoir de venir en aide à son père malade et (sur)vit à Nice dans l’attente d’une régularisation. Isabelle, professeur de français, décide de quitter son mari, son appartement et son métier et part pour le sud, soucieuse de laisser derrière elle sa vie d’avant et surtout le drame qui l’a frappée. C’est à Nice que leurs chemins se croisent, lorsque le hasard les place dans le même hôtel social : Isabelle est touchée par le jeune garçon et met tout en œuvre pour lui venir en aide, le pouvoir des mots étant son premier instrument…

    « Les exilés » est un roman empreint de douceur et de compassion, servi par une écriture jolie et délicate. Il a le mérite de souligner la situation impossible des migrants mineurs, qui n’ont aucun moyen de prouver leur âge face à une administration froide et intransigeante, et les drames qui en découlent. « J’ai compris qu’il fallait franchir la mer, tenter l’Europe ou mourir. »

    Il m’a cependant manqué quelque chose pour être totalement conquise. J’aurais souhaité que le roman soit plus long, qu’il y ait davantage de scènes « show, do not tell » qui nous auraient permis de mieux comprendre ce qu’Ibrahim avait vécu. Je pense que l’histoire aurait été plus percutante, à l’instar du terrifiant « Entre deux mondes » d’Olivier Norek.

    « Les exilés » n’en demeure pas moins une lecture agréable et pleine de sensibilité, à découvrir en ces temps d’intolérance et d’individualisme, et qui nous rappelle surtout que « personne ne quitte sa maison à moins que sa maison ne soit la gueule d'un requin » 

     

    Je remercie le service presse de l'auteure de m'avoir fait parvenir ce roman en échange d'une critique honnête.


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  • « Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé. » *****

    Cette phrase résume parfaitement la démarche entreprise par Annie Ernaux en écrivant « La place » (Prix Renaudot 1984) : un hommage sobre et épuré à son père décédé, une mise à jour de « l’héritage que j’ai dû déposer au seuil du monde bourgeois et cultivé quand j’y suis entrée. »

    Annie Ernaux est une « transclasse » : une jeune femme qui s’est extraite de sa condition modeste (milieu populaire dans une petite ville de Normandie) pour faire des études et devenir professeur de lettres. Cette ascension sociale ira de pair avec une distanciation progressive de ses origines, le fossé se creusant peu à peu entre elle et ses parents : « Les livres, la musique, c'est bon pour toi. Moi je n'en ai pas besoin pour vivre. ».

    Dans le style sobre et élégant qui la caractérise, sans fioritures, elle dépeint son enfance dans la modeste épicerie et les petites manières du monde qu’elle a quitté : « Je me suis pliée au désir du monde où je vis, qui s’efforce de vous faire oublier les souvenirs du monde d’en bas comme si c’était quelque chose de mauvais goût. » Elle n’a cependant visiblement pas oublié ce « monde d’en bas », choisissant d’exhumer ses souvenirs avec pudeur et tendresse.

    J’ai lu que certains voyaient dans ce livre un mépris de la part d’Annie Ernaux pour les parents qui avaient permis sa réussite intellectuelle et sociale. Je n’ai pas eu cette impression, ressentant davantage l’ambiguïté des émotions d’une femme qui a fait partie successivement de deux mondes diamétralement opposés et qui, au final, éprouve un sentiment de trahison. L’épigraphe du roman, empruntée à Jean Genêt, est éloquente : « Je hasarde une explication : écrire c’est le dernier recours quand on a trahi. »

    Un roman court et dense à la fois que je vous recommande.

     

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